Toujours faire pour Lemieux

Rencontre avec Marie-Nicole Lemieux

Propos recueillis par Marie Riopel

Marie-Nicole Lemieux

La contralto Marie-Nicole Lemieux fait la navette entre l'Europe où elle travaille beaucoup et le Québec, son port d'attache. Paris, Berlin, Bruxelles raffolent d'elle, de sa présence, de sa voix. Lors d'une escale parmi nous, elle se raconte avec fougue, enthousiasme et plaisir.

Chanter, une passion pour la pétillante Marie-Nicole Lemieux, un métier fait avec ses tripes, le coeur et l'âme ouverts à plein d'émotions: «Je sais que ma carrière peut s'arrêter du jour au lendemain pour toutes sortes de raisons et je ne peux rien y faire. Il faut donc que j'aime ce que je fais, que je m'y donne totalement. Si je reçois une gifle, je veux au moins avoir eu du fun en la recevant».

Prendre plaisir à sa vie résume assez bien sa philosophie chantante. Profiter intensément de chaque minute, y donner le meilleur de soi et rire. Même (surtout) quand on se trompe. «Le bonheur c'est de s'abandonner... Rien d'important n'est entre nos mains et il faut l'accepter. Quand c'est fait, la part minime de décisions qu'il nous reste, on s'arrange pour que la vie soit belle».

Fleur de peau

La carrière de cette étonnante contralto (certains disent «mezzo soprano» est jalonnée de prix et de récompenses. En 2000, elle a remporté le prix Joseph-Rouleau, le premier prix de la Reine Fabiola à Bruxelles, et le prix spécial du lied au concours Reine Élisabeth de Belgique. Un journaliste de la revue belge Répertoire (no 141, décembre 2000) écrivait déjà: «On soulignera combien la beauté de la voix, la perfection de la ligne de chant, la probité et la musicalité de la chanteuse en imposent naturellement».

Elle a tout juste 24 ans et cette reconnaissance la propulse sur les scènes les plus prestigieuses, entourée des meilleurs musiciens. Sa voix est endisquée sur quatre albums (voir discographie) avant que ne paraisse le dernier en liste: L'heure exquise. En tout premier lieu, ce qui frappe quand on a le DC entre les mains, c'est l'esthétique de la pochette. Qui fait beaucoup jaser, il va sans dire.

Réalisée dans un grand studio de photographes à Paris, la couverture c'est Marie-Nicole dans toute sa splendeur. «Je l'assume du début à la fin, j'ai d'ailleurs eu un droit de regard sur tout. On m'a offert le gros kit, maquilleuse-coiffeuse dans une importante maison parisienne qui a respecté mes idées». Sur ce disque, Marie-Nicole chante des textes de Verlaine, Baudelaire, Hugo. Pour la séance de photos, on lui a donc suggéré de s'inspirer de d'Ingres, Renoir, Delacroix et de l'époque des rondeurs. «J'ai fait six changements de costumes, raconte-t-elle, coquine. Puis lors d'un deuxième essayage, j'avais une écharpe qu'on me demandait de descendre sur mon dos, un peu plus... encore un peu... encore... J'ai dit: «Coudonc, voulez vous que je l'enlève»? Le photographe a répondu oui».

Poser nue? La femme bien en chair a réfléchi deux secondes. D'habitude, s'est-elle dit, le studio de ce photographe voit passer des top models qui obéissent aux diktats de la beauté et de la mode du jour, bref, des maigrichonnes. C'est pourtant toi qu'il veut voir nue, profites-en! «Ce n'est pas tous les jours qu'on fait ce genre de photos avec une femme ronde. En plus, c'est artistiquement très intéressant. Je trouve ça bien beau, je suis contente». La peau toute blanche de son dos donne un effet de porcelaine, le foulard enroulé sur sa tête, les mèches de cheveux et la boucle d'oreille ajoutent une suave touche orientaliste.

Ça évoque fortement Femme assise vue de dos de Ingres. Et le contenu de l'album rend tout à fait justice à ce si beau cliché. «Chose assez rare, on m'a donné une semaine en studio pour fignoler tout le contenu, j'ai eu mon mot à dire tant sur l'enregistrement

[début de la p. 31 du texte original]

que le montage». Cet album, c'est son bébé. Franchement réussi. «Avec L'heure exquise, Marie-Nicole Lemieux déploie son timbre chaud et ses voluptueuses couleurs vocales au profit d'un programme au charme bien français [...]», écrit le critique Guy Marceau, en lui accordant quatre étoiles (La Presse, Arts et spectacles, 19 novembre 2005).

Un air de famille

D'aussi loin qu'elle se souvienne, Marie-Nicole a toujours chanté. Petite fille de Dolbeau, son père est bûcheron retraité, il a travaillé dans une compagnie forestière toute sa vie. Sa mère est retournée aux études après la venue du petit dernier et elle est devenue éducatrice en garderie. Ses parents l'ont beaucoup aidée tout au long de son parcours, allant jusqu'à organiser une collecte de fonds pour permettre à leur fille d'aller à Bruxelles.

Les liens sont serrés comme les notes sur une feuille de musique symphonique. «J'ai deux frères, ils gagnent leur vie dans les chiffres mais ils chantent aussi tous les deux». La famille des Lemieux a beaucoup de parenté... Chez sa mère, ils étaient 14, et 11 chez son papa. «Je suis parente avec la moitié de la ville de Dolbeau, sans forcer». Elle rit. Chez elle, ça parle fort, ça chante. Elle connaît le vieux répertoire par coeur. «La bonne chanson, Luis Mariano et tout ça m'a nourrie et faite telle que je suis».

Son oncle chantait Le semeur et tout le monde braillait. Pour le cousin germain comme pour la tante de la fesse gauche, chanter c'est naturel. «J'ai fait partie des chorales de ma paroisse, on chantait à la messe du samedi. À chaque fin d'année, on montait un gros spectacle de chansons populaires. J'y faisais toujours un solo». Marie-Nicole participait aussi à un tas de concours de talent amateur. C'était son loisir principal. «Je suis un juke-box de la chanson française». Véritable encyclopédie au répertoire varié, elle rêve d'être un jour reçue par Catherine Pogonat à son émission de radio matinale du samedi où l'invité fait découvrir ses choix musicaux pendant deux heures (sur Espace musique 100,7 FM). Parions qu'elle nous surprendrait.

Toute une brochette d'artistes l'enflamment. «Pierre Lapointe promène un mal de vivre que j'ai compris. La mélodie de Debout sur ma tête m'a bouleversée. Mes aïeux, Ariane Moffat, Les cowboys fringants, Stefie Shock, aussi dandy que Gainsbourg, je l'aime». En fait, elle craque pour les gens qui ne se prennent pas trop au sérieux. «J'ai un respect énorme pour Richard Desjardins et toute sa poésie; pour l'univers musical de Daniel Boucher, j'aurais tellement voulu voir son spectacle acoustique cet automne, mais j'étais en Europe. J'adore les gens qui ont des choses à dire et qui trouvent une façon bien à eux pour le faire». La voilà qui s'en veut de ne pouvoir nommer tous les voix qui l'enchantent et de taire ses goûts éclectiques tels les Johnny Cash, Claude François, Michel Fugain, etc. «Quand je sens que le chanteur croit à ce qu'il fait et que sa voix en tremble, je danse et chante comme une folle».

Vorace de culture, la jeune Marie-Nicole se consacrait aussi au loisir cérébral comme Génies en herbe, «mais mon groupe n'a pas été vu à la télé. Je me suis toujours intéressée à tout. Quand ça me touche, ça me touche». Parallèlement, elle consacre beaucoup d'énergie à l'exercice. «J'ai été très physique, j'ai fait pas mal de sport. Du handball parascolaire pendant cinq ans, entre autres». Elle a également tâté du lancer du poids et de l'athlétisme. À l'adolescence, il lui est devenu évident qu'elle n'allait pas faire une carrière dans la chanson populaire. La raison? Son physique. «Avec mon caractère de cochon, je ne me sentais pas prête à me faire dire, il faut que vous maigrissiez. Non madame, ça m'aurait trop choquée». Quelque chose la dérange dans le préfabriqué de la chanson populaire. L'image d'abord, le talent par la suite, non merci!! Ça la rattrape pourtant. «En opéra, on insiste de plus en plus sur l'image, la taille, le look, mais ce n'était pas le cas à l'époque de mon choix».

Marie-Nicole Lemieux

L'identité par le chant

Premier coup de foudre musical classique, son père aimait beaucoup les ténors. Elle a été bercée par les André Jobin, Richard Verreau, Georges Coulombe, Pavarotti, et autres grandes voix qui emplissaient la maison. À 10 ans, une révélation: «La pièce le Sanctus du Christ de Berlioz a joué et les larmes me sont montées aux yeux. Je me revois, couchée sur le tapis, me disant: je suis au ciel, ça y est...». Marie-Nicole ressentait énormément la portée mystique de cette musique. À partir de ce moment-là, la piqûre est enfoncée.

Elle achète des cassettes de compilation, tout de la musique classique l'intéresse. «Mais je n'en parlais pas, les occasions étaient rares de pouvoir le dire». À l'école secondaire, elle suit des cours de musique et apprend la flûte traversière. «Puis, grand changement dans ma vie, à 16 ans, je suis allée m'acheter une chaîne stéréo avec lecteur DC. Mes deux premiers disques, la suite des ballets, le Lac des cygnes et Casse-noisettes de Tchaïkovski, et Beethoven la cinquième symphonie et le concerto pour piano no. 3». Achetés en spécial chez Jean Coutu, s'il vous plaît.

C'est là que Marie-Nicole tombe follement amoureuse du classique. Des soirées entières enfermée dans sa chambre à écouter les plus grands compositeurs du monde, des sopranos colorature, des ténors, des choeurs. «Tu sais, quand on évoque le jeune qui fait un bad trip en écoutant David Bowie, ben c'était la même chose pour moi. Je me réfugiais dans le noir. Je mettais mes écouteurs avec de la musique classique et je partais... je planais vraiment. Je me voyais partout, dans toutes sortes de situations, j'avais un monde imaginaire incroyable». Le paradis!

[début de la p. 32 du texte original]

Presque la vocation

La vie spirituelle de Marie-Nicole évolue au rythme des célébrations auxquelles participe sa chorale. «J'étais pratiquante et très copine avec les curés et les bonnes soeurs. J'ai même cru avoir la vocation. Mais non». Elle se sait beaucoup trop épicurienne pour prononcer des voeux austères. Marie-Nicole est convaincue que profiter de la vie, c'est s'approcher de Dieu aussi. «Quand je chante, c'est un échec si je n'ai pas eu de fun. Je sais que je dois m'améliorer sans cesse sur différents points. Mais l'important c'est de m'amuser à me perfectionner. Si je n'ai pas réussi à passer par-dessus mes peurs, ça paraît et là, je n'ai plus de plaisir». Il lui est primordial de se faire du bien tout au long du parcours.

À elle, mais aussi aux autres. «Je voyage beaucoup et plus j'avance, plus le message de Jésus me touche. Je suis une admiratrice du Christ. C'est le message par excellence». L'apôtre de la non-violence, proclamant la vérité de tous les grands prophètes: l'amour de son prochain. «La violence n'a jamais rien réglé. Rien. L'être humain n'est pas parfait et j'essaie de me rapprocher du coeur. J'ai toujours comme objectif de devenir une meilleure personne». Ce n'est pas toujours facile mais aimons-nous malgré l'amour, chantait Deschamps.

Parlant d'amour, la chanteuse a trouvé l'homme de sa vie. «J'ai un conjoint, je devrais dire un mari, une maison. Je veux des enfants un jour, mais je veux être là pour eux. Je veux les désirer, je ne veux pas les faire pour moi». En ce moment, la carrière la happe quasi totalement. Toujours partie, elle salue la force du lien qui l'unit à ses parents. «J'apprécie le détachement serein dont ils font preuve face à moi. J'espère pouvoir aimer mes enfants comme ça. Papa est à la retraite, maman travaille encore dans un Centre de la petite enfance et elle a vraiment un don. C'est très spécial de voir comment les enfants l'aiment. Elle a une générosité incroyable».

Son père, dont la chaude voix a bercé toute sa vie, aime encore chanter quand bon lui semble. «Il est donc fier que je fasse carrière là-dedans, dit-elle avec son bel accent de Dolbeau. Je les ai amenés à Paris l'an passé et dans la ville lumière, papa avait cinq ans. Il est tombé en extase devant le pont Alexandre III. Il marchait en disant Hi... que c'est chic. J'en oublie que j'ai mal aux jambes». Depuis qu'elle est toute petite, Marie-Nicole voit ses parents s'émerveiller devant la vie, les découvertes. «J'ai de très bons parents, la vie n'est pas parfaite mais cette tendresse-là demeure». Riche de cet acquis, la chanteuse n'hésite pas à donner à son tour.

Les oeuvres du Cardinal

C'est via Alain Labonté, son allié aux relations publiques, impliqué dans les oeuvres du Cardinal Léger, que Marie-Nicole a eu vent de l'organisme. Un jour, il lui demande si l'idée d'être porte-parole pourrait la tenter malgré son agenda plein jusqu'en 2008. «C'est sûr, sans connaître, j'ai pensé qu'un organisme privilégiant le côté ecclésiastique, la «catholicisation», me laissait un peu tiède. J'ai pour mon dire que la personne qui est bien avec ce qu'elle croit n'a pas à changer. Il faut le vivre et être heureux».

En se documentant, elle a vite compris que les oeuvres du Cardinal ne donnaient pas dans l'évangélisation forcée. «Ça m'a confortée. En plus, 83% de l'argent va directement à l'aide aux démunis. J'ai aimé ça. C'est par l'exemple qu'il vaut mieux prêcher». Mais il s'agit aussi d'un travail d'entraide, d'efforts pour l'éducation et pour la santé si essentielle. «Dire que des gens n'y ont pas accès à cause de l'extrême pauvreté. Gauchiste de coeur, socialiste dans l'âme, ça me décourage de voir que les richesses de la terre sont de plus en plus inégales».

Marie-Nicole sacrifierait volontiers une partie de ses avoirs si on lui garantissait que les conditions de vie de son voisin pauvre allaient s'améliorer. «Je pense que par des gestes et des projets collectifs comme ceux du Cardinal, on peut tranquillement changer les choses. Le travail auprès des femmes me touche beaucoup...». Des coopératives, des réseaux d'achat s'organisent. Et les femmes réussissent des miracles. «Pendant des années, la femme a été tenue à l'écart, sans doute parce qu'on lui devinait une telle force. Si nous étions la nature faible comme le veut la légende, on n'aurait pas cherché à nous écarter si longtemps de l'action et du pouvoir».

Les oeuvres du Cardinal respectent les cultures et les différences. Si le Québec connaît encore des inégalités, en Afrique, les gens se battent pour de l'eau, de l'aspirine, un bout de pain. «Le principe de l'économie de marché ça ne fonctionne pas. On le voit bien. La plupart des riches vivent grâce aux pauvres. C'est épouvantable». Marie-Nicole veut supporter le monde dans la dignité. Elle invite chacun d'entre nous à donner 1$, la valeur d'un paquet de gommes et elle voit déjà les millions dans la caisse des pauvres. «Je suis choyée, j'ai une belle carrière, je sais que je peux faire quelque chose et je le fais». Le bonheur, c'est de toujours faire pour Lemieux.

Spectacles printemps-été 2006

Occupée notre star? Quand il est dit que les grandes compagnies d'opéra du monde entier la réclament, on n'exagère pas.

Avril: elle est Orfeo de Gluck, à Brest et à Paris. Bref retour à Montréal, elle est au Pollack Hall pour le Ladie's Morning Musical club, pour un récital le 9 avril.

Le 14 avril elle est à Berlin dans Golgotha.

Du 20 au 21 avril Prokofiev, à la Place des Arts de Montréal.

Le 3 mai, elle fait une visite surprise lors d'un concert de clavecin à l'église Bonsecours de Montréal.

En mai, elle enregistre un disque en France pour Naïve.

5 et 6 juin: La 2e symphonie de Mahler, avec l'Orchestre National de France à Paris.

Du 16 au 18 juin: Beethoven, Missa Solemnis, à Berlin.

6 juillet: en récital au Festival de Sainte-Pétronille, au Québec.

12 au 16 juillet, elle joue Catherine dans Jeanne au bûcher d'Honegger.

20 juillet au 1er août: Festival de Baalbek au Liban, elle est Alisa dans Lucia di Lammermoor de Donizetti.

Pour vous donner une idée, d'ici la fin de l'année, elle sera à la Place des Arts de Montréal, puis à Toronto, à l'Opéra de Strasbourg en France, au Théâtre des Champs Élysées à Paris, le Carlsen Center for the Arts au Kansas, un saut en Californie et finalement un retour en France.

Discographie

Gauvin Fortin, LeBlanc, Lemieux, Soviero
Belle Voci, Arias: Les grandes voix du Canada (AN 2 972), 2004.

Lemieux, MacMahon, Eugelmi
Brahms, Lieder (AN 2 9906), 2004.

Lemieux, Beauséjour, Labbé, Keesmaat,
Handel Cantates italiennes et autres oeuvres (FL 2 3161), 2002.

Lemieux, Tafelmusik Baroque Orchestra, Lamon
Scarlattti, Vivaldi Avison, Salve Regina, Stabat Mater, Concerti per Archi (FL 2 3171), 2003.

Marie-Nicole Lemieux
«l'heure exquise» Enesco, Hahn, Chausson, Debussy
Naïve V 5022, 2005.