Les troubles d'attachement en regard de certains profils cliniques et leur pronostic

Michelle St-Antoine <note *>
Suzanne Rainville <note *>

En élaborant ce programme de traitement pour les enfants présentant des troubles sévères d'attachement, nous nous sommes inspirés principalement des travaux de Paul Steinhauer en Ontario et de Charles Zeanah aux États-Unis. La notion de trouble d'attachement (issue du courant psychiatrique) paraissait circonscrire davantage le profil de la clientèle que nous recevions, soit des enfants qui avaient perdu leur capacité d'attachement et qui présentaient de graves difficultés d'adaptation sociale. Le cadre clinique du programme, soit le type de ressources, la composition de l'équipe d'intervention et le processus de sélection des enfants admis sont décrits succinctement en annexe.

La notion de trouble d'attachement

La première mention du trouble réactionnel de l'attachement (TRA) dans la littérature psychiatrique date de la parution du DSM-III en 1980. Ce diagnostic reposait alors sur l'existence d'un retard de croissance et d'un manque de réponses sociales, devant être manifeste avant l'âge de 8 mois. Lors de la révision du DSM en 1987, l'âge d'apparition des symptômes a été repoussé à 5 ans et deux sous-types (inhibé et désinhibé) ont été différenciés. Selon le DSM-IV (1994), le trouble d'attachement est associé à des soins gravement déficients et pathogènes dans l'enfance. Un contact social inapproprié dans la plupart des contextes constitue le principal symptôme du TRA, à moins que ce comportement témoigne de la présence d'un trouble envahissant du développement ou d'une déficience intellectuelle.

De leur côté, Steinhauer (1999), Lieberman et Zeanah (1995) et Boris et Zeanah (2000) développeront des grilles plus élaborées qui permettront de préciser le diagnostic de trouble d'attachement et d'établir des assises pour le traitement.

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Résumé

S'appuyant sur les recherches récentes dans le domaine de l'attachement, en particulier les typologies élaborées en regard de troubles sévères d'attachement, les auteures discutent du profil clinique des enfants reçus au cours des cinq dernières années dans un programme mis en place par le Centre jeunesse de Montréal. Après avoir décrit les deux types de troubles d'attachement reconnus dans la littérature, soit les inhibés avec retrait du lien et les désinhibés avec sociabilité indistincte, elles introduisent, exemples à l'appui, une troisième catégorie, dite désinhibé perverti, qu'elles différencient au niveau de l'étiologie, en particulier du type d'investissement parental qu'ont connu ces très jeunes enfants. Elles proposent un cadre de traitement et rapportent certains résultats de la prise en charge et du pronostic appréhendé dans ces cas.

Une dette envers John Bowlby

Nous ne voudrions passer sous silence l'influence prépondérante des travaux de John Bowlby (et des nombreux chercheurs dont il a inspiré ultérieurement les recherches) sur la compréhension des problèmes d'attachement des enfants que nous soignons. En effet, dès les années 40, Bowlby attira l'attention des cliniciens sur les effets dévastateurs des carences maternelles précoces et des ruptures à répétition sur le développement des enfants, et tout particulièrement sur leur adaptation sociale.

Les types d'attachement mis plus tard en évidence par Ainsworth (1979), soit l'attachement sécurisé, les attachements insécurisés ambivalent-résistant et évitant, forts utiles pour la recherche, sont difficiles à appliquer en clinique. D'une part, le décodage spécialisé de la Situation Étrange est inaccessible à l'intervenant et, d'autre part, le fait de déterminer qu'un enfant présente un attachement insécurisé ne permet pas de se prononcer sur le risque futur d'inadaptation sociale. En effet, pour Bowlby, les attachements insécurisés représentent des formes d'adaptation de l'enfant à son milieu.

Les recherches récentes sur l'attachement de type désorganisé-désorienté, mis en évidence dans les années 90 par Mary Main, apparaissent davantage pertinentes pour la clinique. Certains auteurs affirment en effet que l'attachement désorganisé serait un facteur de risque majeur de développer une psychopathologie,

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certains posant même qu'il pourrait annoncer une psychopathologie chez l'enfant (Fonagy, 2001). Les comportements de l'enfant présentant un attachement de type D, soit les réactions de colère, la faible tolérance à la frustration, l'irritabilité, l'incompétence sociale, l'expression fréquente de détresse et l'inattention, trahissent des difficultés importantes de régulation des émotions observées également chez les enfants présentant des troubles d'attachement.

Profil clinique des enfants en troubles sévères d'attachement

C'est ainsi que l'étude des dossiers des 23 enfants traités au cours des cinq dernières années dans notre programme et les nombreuses discussions cliniques à leur sujet nous ont amenés à tracer un profil clinique général, et même à différencier non pas deux mais trois types de troubles d'attachement sur la base du mode relationnel - et en particulier du type d'investissement parental - relevé dans ces cas.

Facteurs étiologiques

De nombreuses ruptures de liens comprenant des déplacements à répétition (placements privés ou en familles d'accueil) ou encore des allers et retours suivant des réinsertions familiales avortées jalonnent le parcours de vie de ces enfants, y compris des plus jeunes. La négligence physique et affective et souvent les abus (physique ou sexuel) ont marqué le vécu familial durant les toutes premières années de vie, et presque tous ces enfants ont été signalés en bas âge.

Plan relationnel

Refus de toute dépendance: Hughes (1999), dans un article sur l'adoption d'enfants présentant des problèmes d'attachement, souligne avec justesse que du fait de leurs besoins essentiels non remplis, ces enfants canalisent toute leur énergie et font en sorte de les combler eux-mêmes. Ils découvrent ainsi les chemins de l'autosuffisance.

Tout comme Steinhauer (1999), nous observons que ces enfants refusent de dépendre du monde adulte, soit en se détournant de la relation et en cherchant à être autosuffisant, soit en établissant des relations superficielles. Plusieurs comportements trahissent ce refus de s'abandonner à la relation, tel que se bercer, se frapper la tête avant de s'endormir. S'il est blessé, effrayé ou en détresse, l'enfant ne cherche pas le réconfort, ayant intériorisé l'image d'un adulte non disponible ou qui lui a fait déjà cruellement défaut. De même,

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l'enfant reste vigilant en toutes circonstances face à un éventuel danger, témoignant ainsi de son habitude à assurer lui-même sa protection. Certains enfants enregistrent les trajets en auto et c'est souvent lors d'un changement de parcours qui entraîne des protestations et de la panique chez l'enfant que nous le constatons.

Absence de réactions à la séparation: Une manifestation frappante du trouble d'attachement est, comme le souligne Steinhauer (1999), l'absence de réactions de l'enfant à la séparation, un peu comme si les adultes étaient interchangeables. L'enfant passe souvent sous silence la rupture de lien, en ne réclamant pas les personnes qui en prenaient soin. Cette adaptation superficielle masque des deuils non résolus que le travail d'accompagnement mettra à jour et qui réitérera pour l'équipe l'importance de tenir compte du «parent dans l'enfant», même si celui-ci n'est plus présent dans la réalité.

Attaque du lien: Les bons moments passés avec l'intervenant au cours d'activités agréables ou spéciales, les premiers moments de vécu partagés provoquent inévitablement chez l'enfant des mouvements de rupture du lien. Crises, désorganisations, attaques agressives contre l'adulte ou d'autres enfants, destruction du matériel, l'enfant s'attaque à la relation avec une force nourrie par la panique qu'a suscitée en lui ce mouvement d'abandon à la relation. Ces attaques, qui témoignent des premiers fléchissements de l'enfant au plan relationnel, percutent d'autant plus qu'elles surviennent au moment précis où l'enfant laisse entrevoir un désir de rapprochement et suscite des attentes affectives chez l'adulte.

Indifférence à la punition: L'enfant cache sa vulnérabilité et les intervenants gardent souvent l'impression qu'il est indifférent à toute forme de punition. En fait, ces enfants refusent de se montrer touchés, parce qu'ils ressentent tout signe de vulnérabilité comme un danger d'abus.

De même, certains enfants ne manifestent aucun signe d'émotion face à des cadeaux ou des sorties, de peur que l'adulte, témoin de ce qui leur procure du plaisir, ne les en prive ultérieurement. De même et tel que le souligne Steinhauer (1999), les limites et les règles semblent vécues par ces enfants comme des attaques, des tentatives délibérées de les contrôler, plutôt que comme des exigences de la réalité.

Entraves à la socialisation

Selon Steinhauer (1999), plusieurs difficultés présentées par l'enfant

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en trouble d'attachement viendront entraver sa socialisation. Centré qu'il est sur la satisfaction immédiate de ses besoins, sa manipulation (où l'autre est utilisé comme un objet pour arriver à ses fins), son besoin excessif de contrôle, son manque d'empathie lui rendent difficile la coopération avec l'autre.

Les recherches récentes démontrent que la difficulté de ces enfants à réguler leurs émotions constitue fort probablement la plus grande entrave à leur socialisation. Selon Fonagy (2001), la capacité de régulation des émotions dépend de la compréhension des expériences internes qui se construit dans la relation dyadique précoce avec la figure maternelle. Cette capacité de régulation fait clairement défaut aux enfants que nous recevons qui se désorganisent régulièrement, sans être en mesure d'identifier ce qui se passe en eux. Les forces désorganisatrices de l'émotion amènent l'enfant à adopter des stratégies rigides dans ses relations interpersonnelles, d'où le fait de crises, de désorganisations sévères ou d'attaques agressives contre les autres enfants ou contre soi.

Structure de la personnalité: diffusion de l'identité

L'expérience des dernières années et l'examen des gestes posés au quotidien par ces enfants mettent en lumière ce qui apparaît comme une indifférenciation partielle de leurs frontières. Ainsi une multitude de situations montrent leur difficulté à circonscrire leur espace personnel et à ne pas envahir celui des autres: ils peuvent foncer dans l'adulte, comme s'ils lui rentraient dans la peau, envahir l'espace des autres enfants en prenant leurs objets, en les touchant ou en piquant la nourriture dans leur assiette.

Des mécanismes de clivage (séparant les bonnes et les mauvaises images de soi et de l'objet) entravent le développement d'un sentiment de soi unifié. La diffusion de l'identité qui en résulte rend ce type d'enfant très dépendant de la présence de l'adulte et du cadre externe pour ressentir une certaine continuité d'être, pour bien se conduire et faire des choix. Un peu comme ce petit garçon qui s'identifie dans un dessin à «un train fou» qui s'est détaché, avec par suite le besoin de «rails» pour pouvoir se diriger. La fragilité des frontières qui fait en sorte que l'enfant se sent peu protégé contre le monde extérieur et où la présence de l'autre est vécue comme intrusive rend extrêmement difficile pour lui la vie en grand groupe.

Développement intellectuel

Des difficultés d'apprentissage et des retards de développement

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sont observés chez plusieurs des enfants à leur arrivée dans nos ressources. Des diagnostics de déficit d'attention ou d'hyperactivité sont posés pour plusieurs d'entre eux.

Une typologie des troubles réactionnels sévères d'attachement (TRA)

Nos observations nous permettent de différencier les enfants traités dans notre programme selon qu'ils appartiennent aux TRA inhibé ou désinhibé du DSM-IV ou aux catégories correspondantes de la typologie de Boris et Zeanah (2000), soit les pathologies d'absence d'attachement avec retrait émotif ou sociabilité indistincte. Pour sa part, Paul Steinhauer (1999) n'a pas introduit de typologie et sa grille correspond davantage au type d'enfants présentant une sociabilité indistincte. Nous proposons quant à nous une troisième catégorie, celle des désinhibés pervertis, qui se différencie des deux autres au niveau de l'étiologie, de la complexité de la prise en charge et du pronostic très réservé dans ces cas.

Type 1: Trouble d'attachement avec retrait: «les inhibés»

Les enfants du profil inhibé se caractérisent par leur retrait de la relation, et les intervenants les décrivent souvent comme étant «dans leur bulle». Solitaires, à l'allure triste et plutôt amorphes, ces enfants donnent l'impression d'avoir renoncé à la relation et de ce fait, ils veulent tout faire par eux-mêmes et les intervenants doivent se contenter d'être près d'eux pour prévenir les accidents. Ce tableau clinique apparaît très tôt et la vulnérabilité psychique de ces enfants est souvent masquée par une allure «parentifiée» qu'ils adoptent en présence de leur parent.

La position de retrait de l'enfant cache pourtant une forte hostilité, souvent retournée contre soi. On note de l'automutilation et certains enfants refusent de se nourrir comme s'ils fermaient à l'autre toutes les ouvertures de leur corps. Bien qu'ils se montrent moins agressifs que les enfants désinhibés, ces enfants peuvent attaquer les pairs ou détruire des objets dans des moments de stress important. Ils se situent tous à un niveau élevé sur le continuum de la méfiance, allant pour certains jusqu'à des sentiments de persécution.

L'histoire sociale de ces enfants montre qu'ils ont connu une alternance de périodes d'investissement (par un parent ou une figure substitut) parfois décrites comme fusionnelles, suivies de périodes de délaissement affectif. Le fait de cet investissement pourrait expliquer leur plus grande différenciation au plan psychique que les

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deux autres types, mais comme dans la majorité des TRA, les enfants «retirés» démontrent des retards (ou même un arrêt de croissance dans la petite enfance) dans une ou plusieurs sphères de leur développement.

Vignette clinique: Gabriel

À son arrivée, Gabriel, 8 ans, prend une forte dose de Risperdal. Il est aux aguets et son anxiété est très élevée et on le décrit comme étant souvent «dans la lune». Il se tient à l'écart et s'isole au point où les intervenants ont tendance à «l'oublier». Il peut facilement se sentir persécuté par les pairs et ses peurs multiples le conduisent parfois à menacer les autres, avec des ciseaux par exemple. D'allure chétive, il n'est pas situé dans le temps et présente un problème de motricité évident dans sa démarche. Bien qu'il s'applique en classe, il ne sait ni lire, ni écrire, comme s'il n'apprenait pas. Son intérêt principal est l'ordinateur, une activité solitaire. Enfin, Gabriel met en place toutes sortes de mécanismes obsessionnels pour contrôler son environnement. Ainsi, aucun objet ne doit être déplacé dans sa chambre.

Dès sa naissance, la mère a éprouvé de l'ambivalence envers son enfant: elle n'arrivait pas à lui trouver un prénom et était incapable de contact physique ou visuel, tout en démontrant des mouvements fusionnels par souci d'en prendre soin. Depuis le placement de Gabriel, la mère parle de son désir de le reprendre et l'utilise souvent comme confident. Auparavant, elle le menaçait régulièrement de le placer. Cette relation fortement ambivalente occasionne des désorganisations importantes chez l'enfant lors des visites. Durant plusieurs mois, Gabriel se montre inquiet et adopte souvent une position de parent envers sa mère lorsqu'il la sent en détresse.

Type 2: Trouble d'attachement avec sociabilité indistincte: «les désinhibés»

Ces enfants correspondent au profil désinhibé du TRA tel que décrit dans le DSM-IV. Charmants et séducteurs, ils se lient facilement aux étrangers et peuvent rechercher un rapprochement physique, dès le premier contact. Selon Hughes (1999), ces enfants ont compris que la familiarité amène la plupart des adultes à se montrer aimables en

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retour avec eux. Toutefois si ces tactiques échouent, ils peuvent faire une crise pour obtenir ce qu'ils veulent. Les adultes paraissent interchangeables, et l'exclusivité seule est recherchée. Ces enfants peuvent même adopter une position très infantile, cherchant à se faire prendre en charge. Ils peuvent encore se montrer intrusifs et accaparants au point de susciter chez l'autre un besoin de mise à distance.

Ces enfants ont besoin de l'adulte pour fonctionner, et celui-ci semble jouer un rôle de contenant, de «pare-excitation». Ce type d'enfants donne davantage accès à leurs angoisses que le type inhibé mais ils sont confus et incapables d'identifier ce qui se passe en eux.

L'enfant désinhibé se caractérise par son comportement agressif. La socialisation est particulièrement problématique: les relations avec les pairs, fortement teintées de rivalité, sont conflictuelles, et plusieurs de ces enfants ont proféré des menaces de mort ou agressé sérieusement d'autres enfants.

L'histoire de ces enfants se distingue du groupe précédent en ceci qu'ils n'ont pas été réellement investis par leurs parents en tant que personne distincte. Souvent objets de projections négatives, ils sont perçus comme dérangeants, inadéquats, voire dangereux. Les tentatives de différenciation de l'enfant semblent avoir été vécues comme des attaques par le parent. Des désirs de mort chez le parent envers l'enfant sont notés dans plusieurs dossiers. Ces enfants semblent avoir intériorisé une image très négative d'eux-mêmes, suscitant une peur continuelle d'être pris en défaut.

Vignette clinique: Mike

Mike a été signalé à la protection de la jeunesse à l'âge de un an. La mère est décrite comme étant infantile et très changeante: tantôt elle cajole l'enfant, tantôt elle s'en désintéresse complètement. À maintes reprises, Mike est envoyé chez des amis sans qu'elle ne lui donne de nouvelles. Mike est finalement confié à son père qui demande rapidement son déplacement. Il épuise ensuite une famille d'accueil par sa désorganisation.

À son arrivée dans nos services, Mike est âgé de quatre ans. Charmeur, il joue au bébé et se montre très dépendant. Il va à n'importe qui et devient très envahissant tout en demeurant hypervigilant. Mike présente des retards de

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développement importants au plan du langage et de la motricité. Opposant face aux apprentissages, obsessif par rapport à la propreté, il cherche à contrôler la relation. Il exige beaucoup d'encadrement, particulièrement auprès des pairs qu'il a tendance à frapper. Son agitation et sa difficulté à se concentrer exigeront une prise de Ritalin à son entrée à la maternelle.

Type 3: Trouble d'attachement avec sociabilité indistincte et perversion du lien: «les désinhibés pervertis»

Ce troisième type (qui pourrait être considéré comme une sous-catégorie du deuxième) nous est apparu utile lorsque l'équipe traitante a cherché à comprendre pourquoi certains enfants ne parvenaient pas à restaurer leur capacité de lien, même si le milieu thérapeutique leur avait permis de mieux fonctionner de façon générale. Dès leur arrivée, ces enfants apparaissent davantage atteints que les autres. Leur prise en charge, semée d'embûches, confirme leur état de désorganisation et met à rude épreuve tous les intervenants impliqués auprès d'eux.

Contrairement aux autres enfants du profil désinhibé qui ont été victimes de négligence et de délaissement, ces enfants portent les traces d'un investissement pathologique d'une figure parentale. Ce lien que nous qualifierons de «perverti» semble avoir détourné l'enfant de sa propre existence pour en faire l'objet du scénario pervers narcissique du parent. Comme le soulignent Schreier et Libow (1993) dans leur étude de mères souffrant du syndrome de Munchausen par procuration, ce type de lien ne réfère pas à des pratiques sexuelles perverses, mais plutôt à un mode de fonctionnement mental où fantasme et réalité coexistent dans une relative indistinction. Ces enfants semblent avoir subi le même traitement que réservent les individus pervers à leurs partenaires: «Les individus pervers traitent leurs partenaires comme si ceux-ci n'étaient pas des êtres humains, mais des pantins à manipuler sur la scène où se joue la perversion» (Stoller, 1978, p. 113).

Le premier de ces enfants, âgé de trois ans, en remplacement d'un bébé décédé dont la mère n'a pas fait le deuil, est tantôt magnifié et qualifié de «génie», lorsqu'il agit en conformité avec l'idéal maternel, puis dénigré et sadiquement rejeté lorsqu'il échoue. La mère l'appelle le «survivant», en référence au bébé décédé.

Le deuxième enfant doit jouer le rôle du surdoué qui permet à sa

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mère d'entretenir des fantasmes de perfection. Par la force (il est battu avec une ceinture), il apprend l'alphabet dès 18 mois, et la lecture ensuite. On perçoit l'emprise maternelle sur le corps de cet enfant qui ne sait pas de quel sexe il est, tant il est soumis à cette mère dont les injonctions le suivent encore. La troisième enfant, surnommée la «reine», la «poupée» ou la «chatte» par son père, semble faire partie du scénario pervers de ce dernier.

Contrairement à ceux du groupe désinhibé, ces enfants semblent avoir fait l'objet de surstimulation. De fait, ils sont le jouet (ou l'objet fétiche) d'un parent qui les a pris de force dans son scénario. Ces enfants paraissent n'avoir aucune conscience de leur propre existence, comme si le parent avait empêché l'enfant d'advenir à lui-même. Les intervenants donnent l'image d'un enfant qui ne garde rien, qui n'apprend pas, n'intègre pas les règles et les routines. Autant il ne garde pas le lien avec l'adulte absent, autant en présence de l'adulte, il cherche constamment le contact physique et s'accroche, donnant l'impression de vouloir entrer dans la peau de l'autre.

Les intervenants décrivent souvent ces enfants comme robotisés et programmés. Leur espace psychique interne étant lacunaire, le jeu symbolique n'existe pas pour deux de ces enfants. Pour l'un, l'activité favorite est de faire des exercices dans des manuels scolaires, des casse-tête ou des mots croisés, et pour l'autre, elle consiste en un jeu répétitif et stéréotypé autour du lit. Tout changement dans le cadre de vie provoque chez ces enfants une désorganisation qui prendra l'allure d'attaques agressives, d'automutilations ou encore de crises interminables, plus intenses, fréquentes et destructrices que celles des autres enfants, et les éléments déclencheurs en sont aussi plus difficiles à cerner.

Vignette clinique: Rosie

Rosie est arrivée à l'âge de 4 ans après un court séjour en famille d'accueil où ses comportements désorganisés (casser des vitres, se mettre en danger, etc.) ont mis rapidement son placement en péril. La fillette a vécu ses premières années avec ses parents, puis seule avec son père. Elle est décrite par les intervenants comme une fillette d'allure masculine, s'exprimant d'une voix rauque. Son discours est souvent incohérent et elle fuit le regard. Familière avec les étrangers, elle va à tout le monde de façon indifférenciée. Le contact physique est souvent brusque et intrusif, un peu comme si

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elle était inconsciente de l'existence de l'autre. À d'autres moments, l'approche est séductrice et même d'une sensualité trouble (elle se transforme en chatte en chaleur et se colle sur l'éducatrice en poussant des petits cris d'excitation). L'état profond de malaise suscité chez l'éducatrice par cette mise en scène témoigne de l'aspect pervers plutôt que ludique de la scène.

Des phrases répétitives, stéréotypées, ponctuent son discours: «mon beau papa Francis», dit-elle chaque fois qu'elle mentionne son père. Les intervenants décrivent Rosie comme «ayant son père tatoué dans la peau». La fillette semble complètement sous emprise et les visites (sous supervision) du père permettent d'observer le contrôle total qu'il exerce sur «sa petite reine» et sa façon particulière de laisser sur elle son empreinte, en cherchant à lui peindre les ongles ou en lui apportant des vêtements qu'il voudrait la voir revêtir.

Rosie répète sans cesse les mêmes jeux (faire le lit, se coucher et inviter les amis dans le lit de papa Francis), répétition traumatique et obsessive qu'elle ne peut élaborer. «Vide et inatteignable», selon les intervenants, plusieurs gestes posés par Rosie semblent avoir pour but de se sentir exister.

Traitement des enfants en troubles sévères d'attachement

Personne ne peut manipuler ou forcer un enfant présentant des difficultés d'attachement à créer un lien avec un adulte. La seule chose qui puisse être faite est de fournir les conditions où les plus résistants et perturbés vont, après des années de distance, se sentir assez en confiance dans le milieu pour se permettre de risquer à nouveau de s'engager avec un adulte. P. Steinhauer, 1999, p. 12.

Devant ce constat basé sur la longue expérience de Paul Steinhauer, on peut concevoir que le but du traitement est de fournir des soins suffisamment bons qui permettent à l'enfant de se sentir assez en sécurité dans le milieu pour prendre éventuellement le risque de former un attachement. Il faut donc que les adultes qui assument les soins survivent aux attaques de l'enfant et sachent résister aux sentiments d'impuissance qui pourraient les pousser à demander son déplacement. Il leur est indispensable de savoir que l'enfant a

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besoin de temps pour faire confiance à nouveau, et que la non-évolution apparente est une période nécessaire à l'enfant pour tester l'environnement et s'assurer qu'il ne lui fera pas défaut.

Le premier défi consiste à garder l'enfant sans le déplacer à nouveau, et à faire en sorte qu'il ne mette pas en péril le placement des autres enfants ou encore la survie psychique des intervenants. Voici quelques principes qui guident notre intervention.

Offrir à l'enfant un cadre contenant

Ces enfants ont besoin de se sentir en sécurité dans un environnement prévisible. Plus l'enfant démontre des signes de désorganisation et des difficultés à se contrôler, plus on doit restreindre et structurer son espace, afin d'éviter qu'il se mette en danger ou pose des gestes répréhensibles, le renvoyant à des sentiments d'échec et de honte, comme le précise Hughes (1999). Ce cadre comprend aussi une structuration du temps où des règles claires et des routines sont établies dans le quotidien, de sorte que l'enfant appréhende le monde autour de lui comme davantage prévisible, et de ce fait plus sécurisant. Tout changement du cadre de vie est préparé avec soin afin que l'enfant puisse l'anticiper et y faire face.

L'intervenant sert également de contenant à l'enfant. Il l'arrête, contrôle ses débordements, ses désorganisations, et lui offre un environnement où il ne se blessera pas et ne fera pas mal aux autres. Une vigilance constante est exercée pour protéger l'enfant d'un excès de stimulations.

L'enfant peut avoir besoin d'être davantage «contenu» physiquement afin de diminuer l'angoisse qu'il ressent, tel cet enfant qui ne dormait pas et qui a pu s'apaiser lorsqu'on l'a installé dans un petit sac de couchage. Différents moyens peuvent donc permettre à l'enfant fragile au niveau de ses frontières corporelles de se doter d'une «deuxième peau».

Préserver une distance relationnelle adéquate avec l'enfant

L'intervention ne vise pas à ce que l'enfant crée un lien d'attachement dans un premier temps. L'intervenant doit éviter de nourrir trop d'attentes affectives et aussi se prémunir contre toute attente irréaliste quant aux progrès de l'enfant et au temps nécessaire pour y parvenir. Ceci évite des déceptions et un sentiment d'impuissance que l'enfant ressent et porte douloureusement. Par ailleurs, l'intervenant doit tirer satisfaction des petits pas accomplis par l'enfant sans se décourager devant les régressions inévitables en

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cours de traitement. En accord avec la recherche de Howe (1995), nous constatons que la capacité à donner un sens aux comportements de l'enfant permet à l'intervenant d'éviter le piège de se sentir visé personnellement par les attaques de celui-ci. Afin de contrer le mécanisme de brisure relationnelle, l'intervenant veille à doser les encouragements ou les compliments de façon à ce que l'enfant puisse les absorber, sans par la suite s'attaquer au lien.

Avec les enfants de profil inhibé, l'intervenant doit éviter d'engager le contact physique. L'enfant décidera lui-même du moment du rapprochement et l'intervenant se montrera prudent en dosant sa réponse et en se montrant sensible aux besoins de l'enfant, sans jamais forcer la relation. Alors que l'enfant inhibé se protège de la relation en gardant distance, l'enfant désinhibé, par son attitude intrusive, commande un réflexe de protection chez l'intervenant: le défi consiste pour ce dernier à ne pas transformer cette distance, indispensable à sa survie, en une fermeture face à l'enfant.

Éviter la lutte gagnant-perdant: sortir des enjeux de contrôle

Ce principe énoncé fort à propos par Paul Steinhauer (1999) est d'autant plus important que l'attitude d'indifférence de ces enfants face à la punition mène tout droit à l'escalade et la lutte de pouvoir. L'adulte peut facilement verser dans l'excès de punitions afin d'atteindre l'enfant, confirmant alors ce dernier dans sa crainte d'être abusé. Par contre, la répétition de la même conséquence par rapport à l'acte aide l'enfant à comprendre et accepter les limites de ce qui est acceptable ou non.

Une intervention plus neutre convient davantage à l'enfant en trouble d'attachement qui ne renoncera pas à un comportement répréhensible pour faire plaisir à l'adulte: il faut donc utiliser la règle plutôt que de miser sur la relation. Au niveau des moyens, l'utilisation d'une horloge ou d'une minuterie indiquant l'heure où une activité prendra fin permet à l'enfant de garder l'impression qu'il ne se soumet pas complètement au pouvoir de l'adulte et de récupérer un espace où il peut décider par lui-même.

Servir de miroir pour aider l'enfant à identifier ce qui se passe en lui

Les désorganisations chez ces enfants apparaissent souvent aux intervenants comme imprévisibles. Cependant, un examen plus fouillé du sens qu'ont pris les événements et l'interaction précédant la désorganisation mène à identifier les émotions associées

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au débordement de l'enfant. Cet exercice paraît d'autant plus souhaitable que l'enfant n'a pas la capacité d'identifier ce qui se passe en lui et requiert l'aide de l'adulte pour reconnaître des émotions qui prennent souvent pour lui, la forme primitive d'une angoisse difficile à contenir.

Il ne s'agit pas de reprendre l'enfant sur ses comportements problématiques pour lui proposer des alternatives mais plutôt de suggérer des liens entre sa désorganisation et des émotions qu'il aurait pu vivre afin de donner un sens à ce qui se passe en lui. Il existe ici un parallèle entre le rôle joué par l'intervenant et la fonction de «miroir» joué par la mère (Fonagy, 2000) qui, par son expression empathique, permet peu à peu au nourrisson de se représenter son propre état interne et d'acquérir éventuellement le contrôle de soi.

Pronostic du traitement selon le type de troubles d'attachement

Le mandat donné aux ressources en cause ici est d'enrayer le cycle des déplacements et de restaurer la capacité d'attachement de ces enfants. Un bilan de nos cinq années d'expérience permet de constater qu'au plan de la stabilisation des enfants, la réussite est entière, mais que le pronostic au niveau de la restauration des liens d'attachement varie selon le profil de l'enfant. Nos constats, basés sur un très petit nombre d'enfants, continuent de faire l'objet de validation clinique à partir de l'observation d'autres enfants admis dans le programme.

Type 1: Troubles d'attachement avec retrait: «les inhibés»

Les périodes d'investissement qu'ont connues ces enfants semblent avoir laissé des traces permettant une ouverture éventuelle à la relation. Aussi, malgré leur retrait initial, ils démontrent un meilleur potentiel d'évolution et d'adaptation sociale que les autres types.

Après un temps d'observation leur permettant de juger s'ils peuvent faire confiance à nouveau, ces enfants initient des mouvements de rapprochement envers l'adulte et se laissent aller à des gestes ou des propos démontrant qu'ils tolèrent davantage la dépendance. La méfiance diminue et les comportements agressifs disparaissent pratiquement au sein de leur milieu de vie et souvent à l'école. Ces enfants demeurent toutefois fragiles devant l'inconnu et la méfiance peut réapparaître, entraînant un recours à l'agressivité, mais à un degré moindre qu'auparavant.

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Avec le temps, les intervenants diront de ces enfants qu'ils les sentent plus «déprimés» et lorsqu'ils pleurent, que ce sont «des vraies larmes» et non des pleurs de rage. On observe aussi une nette amélioration de leurs capacités de mentalisation: ils peuvent mettre des mots sur ce qu'ils ressentent et certains posent des questions sur leur histoire et ont accès à des souvenirs jusqu'alors inaccessibles. Ces enfants, tout comme ceux du groupe désinhibé, récupèrent leurs retards de développement suffisamment pour qu'une scolarisation régulière soit possible pour plusieurs d'entre eux. Certains enfants ont démontré une amélioration de leur fonctionnement intellectuel.

Ce groupe d'enfants est celui qui suscite le plus d'espoir chez les intervenants. Leur capacité d'attachement ayant pu être partiellement restaurée, ils sont suffisamment aimables pour susciter l'intérêt des milieux d'accueil qui, moyennant beaucoup de support et de travail de collaboration, aideront ces enfants à poursuivre leur évolution.

Type 2: Trouble d'attachement avec sociabilité indistincte: «les désinhibés»

Ces enfants profitent énormément du cadre et de la stabilité offerts par les ressources. Ils améliorent peu à peu leur capacité à se contenir, ce qui contribue à une meilleure adaptation sociale. L'agitation et les comportements agressifs prennent beaucoup de temps à diminuer et resurgissent facilement dans des moments de tension ou devant des situations nouvelles.

Même si des progrès sont notés, à défaut d'une différenciation suffisante au plan psychique, le cadre extérieur demeure en partie garant de leur adaptation sociale. Par exemple, l'intégration au scolaire a été très difficile pour tous ces enfants. Non disponibles, ils se désorganisaient régulièrement. La sécurité engendrée par l'étroite collaboration entre les services a cependant permis aux enfants de développer leur potentiel.

Sans pouvoir parler d'une restauration du lien d'attachement, les intervenants notent que ces enfants deviennent moins intrusifs et accaparants et respectent davantage le territoire de l'autre. La relation demeure toutefois à un niveau plus superficiel que le type inhibé.

Le travail de différenciation au niveau des frontières et l'accompagnement individuel permettront à plusieurs de sortir de la confusion et de développer un sentiment d'identité. Ce travail amène à découvrir que nombre de ces enfants semblent «accrochés» à leurs parents, même si dans certains cas, ceux-ci ont disparu de leur vie.

[début de la p. 245 du texte original]

Ils donnent l'impression d'attendre d'être confirmés autrement que dans un statut de mauvais objet. L'intégration de ces enfants dans d'autres milieux demeure une préoccupation plus grande pour les intervenants comparativement aux enfants du type inhibé.

Type 3: Trouble d'attachement avec sociabilité indistincte et perversion du lien: «les désinhibés pervertis»

Tout comme les autres types, ces enfants profiteront énormément de la constance et de la prévisibilité du cadre mis en place dans le traitement. Plus que les autres, ils exigent une ritualisation des activités et des moments de vie et une stabilité du personnel pour pouvoir fonctionner. Le traitement leur permet d'acquérir une meilleure capacité de contenance: ils se montrent moins agressifs, les crises et les désorganisations diminuent. Devant la fermeté du cadre, ils testent moins les limites et respectent mieux les règles.

L'apaisement des enfants, vivement ressenti par les intervenants, témoigne de la sécurité qu'ils acquièrent face à un monde qui leur apparaît comme davantage prévisible. L'enfant demeure très dépendant du cadre - celui de la scolarisation et celui des visites supervisées des parents - qui doit faire partie intégrante du traitement. Dans le cas des visites supervisées, le rythme, le local, le jour et même le trajet en auto avec l'intervenante font partie du rituel. Dans leurs contacts avec l'adulte, ces enfants deviennent peu à peu moins accaparants et envahissants. Davantage investi comme dépositaire du cadre et des règles, l'adulte semble cependant prendre peu d'existence réelle aux yeux de l'enfant. Au niveau social, ces jeunes éprouvent beaucoup de difficultés à composer avec les autres, et manifestent peu d'empathie à leur égard.

Après un séjour d'en moyenne trois ans, ces enfants commencent à identifier, à l'occasion, des émotions et à vouloir garder des «traces» des autres (cadeaux, cartes reçues lors d'une fête de départ). Alors que tout semblait plutôt morcelé parfois chez eux, ils nous ont étonné par leurs tentatives de «lier» des événements, des personnes et même de rappeler l'image d'une figure maternelle absente depuis des années et dont ils s'efforçaient de nier l'existence («Toi au moins tu as une mère, je ne retournerai jamais chez ma mère»). Moments brefs d'émotions où l'enfant est ressenti comme «vrai» et en même temps intensément vulnérable, un peu comme si un espace intérieur s'ouvrait enfin.

Avec ces enfants, nous sommes confrontés à la limite de ce type de

[début de la p. 246 du texte original]

ressource qui permet un séjour de 2 à 3 ans, un peu plus long pour certains. Cliniquement, tous les intervenants s'entendent pour dire qu'une continuité de ce type d'encadrement aurait pu être porteuse, même si nous demeurons très réservés quant à la restauration des liens d'attachement dans ces cas.

Conclusion

L'expérience des cinq dernières années a confirmé qu'un cadre clinique adapté, proposé autant aux enfants atteints de troubles graves d'attachement qu'aux ressources appelées à les soigner, permet d'éviter les déplacements et d'améliorer de façon importante le fonctionnement de ces enfants. Leur évolution au niveau de la capacité d'attachement diffère d'un type à l'autre: l'enfant inhibé présente le meilleur pronostic alors que l'enfant désinhibé investi de façon perverse a le pronostic le plus sombre.

Cette observation nous amène à reconsidérer la prise en charge de ces enfants. Parmi les enfants plus jeunes, certains de ceux qui possèdent un pronostic favorable pourraient être maintenus dans leur famille d'accueil, si nous pouvions leur offrir le support de l'équipe spécialisée et les services d'un centre de jour. Nous pourrions ainsi leur éviter la rupture supplémentaire que constitue le passage dans nos ressources. Ce projet est actuellement à l'étude.

L'enfant de type désinhibé perverti, du fait de sa très grande dépendance au cadre, serait mieux servi par un placement dans une ressource résidentielle (de 4 à 6 enfants) ayant un mandat de traitement à très long terme. Il faut être conscient que la majorité de ces enfants circulent d'une ressource à l'autre pour se retrouver dans des services d'encadrement intensif, au début de l'adolescence. La création de ressources adaptées à leurs besoins permettrait de favoriser au maximum leur adaptation sociale, en évitant les longues périodes de désorganisation et d'apprivoisement associées aux déplacements.

Le cadre clinique et les principes de traitement expérimentés apparaissent prometteurs et pourraient être adaptés pour répondre aux besoins d'une proportion importante de jeunes actuellement hébergés dans les centres jeunesse.

Nous aimerions remercier tous les membres de l'équipe pour leur contribution à cet article en soulignant l'apport inestimable des responsables et des intervenants des ressources qui, par leur sollicitude et leur persévérance, ont fait la différence dans le parcours de vie de ces enfants.

[début de la p. 247 du texte original]

Abstract

In their review of recent research, specifically the various typologies with regard to severe attachment disorders, the authors discuss a clinical subtype found in children severely affected in their attachment capacity as compared with inhibited and desinhibited children. This profile called perverted desinhibited is differentiated on the basis of a specific parental investment found in these young children. Treatment issues and prognosis in these cases are also considered.

Références

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Stoller RJ. La perversion. Paris: Payot, 1978.

Annexe
Le programme pour les enfants présentant des troubles sévères d'attachement est offert dans trois ressources de réadaptation du Centre jeunesse de Montréal: deux résidences de groupe et une maison d'accueil. L'équipe de chaque résidence se compose de deux ou trois intervenants qui possèdent une formation en réadaptation et des connaissances sur la théorie de l'attachement. Ces ressources sont entourées d'une équipe stable et engagée: un gestionnaire responsable du programme, une conseillère à l'accès, deux psychologues chargées de la consultation et du suivi et une psychoéducatrice dont le mandat est de soutenir les ressources et qui a le rôle de personne autorisée pour chacun des enfants.

Les responsables de ces ressources participent avec l'équipe à un séminaire continu visant à élaborer les principes de traitement et le cadre du travail auprès des enfants. Le processus d'accès à ces ressources est rigoureux. Pour être admissible au programme, l'enfant doit présenter plusieurs indicateurs de troubles sévères de l'attachement et il ne doit pas nécessiter un niveau d'encadrement qui empêcherait son traitement en milieu ouvert. Les enfants présentant des troubles envahissants du développement ou de la déficience de niveau moyen à sévère ne sont pas admissibles. De plus amples informations peuvent être communiquées par les auteurs au lecteur intéressé par cette question ou par tout autre aspect de ce programme.

<Note *> Les auteures sont psychologues au Centre Jeunesse de Montréal - Institut universitaire. Adresse: 1001, bd Maisonneuve Est, Montréal (Québec) H2L 4R5

Courriels: michelest-antoine@mtl
centresjeunesse.qc.ca
suzanne.rainville@mtl.centresjeunesse.qc.ca