Evens Villeneuve<note *>
Suzane Renaud
Christiane Bertelli
Le concept psychanalytique d'hystérie a suscité beaucoup d'attention, des émotions excessives et une façon impressionniste d'en parler. Temoshok et Heller, 1983.
«Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire viennent aisément». Cette citation de Boileau ne s'applique hélas pas au trouble de personnalité histrionique (TPH) et hystérique. En effet, beaucoup d'émotivité entre dans le diagnostic de ce groupe de patients hyperémotifs, générant des automatismes transférentiels et contribuant à en faire un fourre-tout diagnostique.
Pourtant, il a été démontré qu'il y a autant de personnes présentant un trouble de personnalité chez les hommes que chez les femmes. Les nosographies ont été modifiées au gré des nouvelles connaissances, voire de certains courants de pensée, notamment du mouvement anti-psychanalytique. Au biais de genre s'ajoutent néanmoins des empreintes impressionnistes persistantes. Ainsi les cliniciens attribuent rarement le diagnostic de trouble de personnalité antisociale ou narcissique aux femmes, ni celui de limite ou d'histrionique aux hommes. De fait, l'avide trouble de personnalité limite n'occupe-t-il pas trop ou tout l'espace? C'est ainsi que devant la moindre expression de variations émotives ou d'idées suicidaires, le patient se voit attribuer un trouble de personnalité limite. Le diagnostic ne serait-il pas davantage le fait d'une attribution contre-transférentielle, plutôt que le résultat d'un raisonnement bien étayé sur l'investigation clinique?
Parmi les troubles de personnalité perdus dans la confusion des genres, vite assimilés au trouble de personnalité limite et de ce fait, peut-être non adéquatement traités, se retrouvent les troubles
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de personnalité histrionique et hystérique. Les nuances requises et la complexité du fonctionnement psychique ne sont-elles pas antinomiques d'une telle confusion? Nous nous proposons de mieux identifier ces trois troubles qui appartiennent à des nosographies différentes, afin d'en mieux saisir toute la richesse et peut-être dénoncer un peu de bêtise dans cette pratique clinique.
RésuméComment comprendre l'approche prototypique et les biais entourant le diagnostic des troubles de personnalité hystérique et histrionique, et quels modèles s'offrent à une meilleure appréhension de ces troubles? Faisant retour sur le concept d'hystérie, les auteurs reprennent les conceptualisations psychanalytiques et psychiatriques en tentant d'expliquer les transformations dont ces troubles ont fait l'objet dans les classifications diagnostiques du DSM. Ils discutent du diagnostic différentiel entre troubles de personnalité histrionique, hystérique et limite en intégrant les dimensions du tempérament et du caractère, et proposent un éclairage plus global de ces troubles qui prend appui sur le modèle psychodynamique structural de Kernberg, le modèle psychobiologique de Cloninger et les repères nosographiques de Zetzel. |
Le concept d'hystérie à l'origine du trouble de personnalité histrionique fait référence à un conflit oedipien refoulé et exprimé de façon symbolique par les symptômes hystériques. Expression de pulsions instinctuelles surtout sexuelles, ces symptômes sont le reflet d'interactions traumatiques avec des objets significatifs et des tentatives du sujet de restituer sa relation avec ces objets (Blacker et Tupin, 1977; Lussier, 1995). C'est en tentant d'expliquer l'hystérie, pierre angulaire de sa théorie psychanalytique, que Freud (Freud et Breuer, 1922) a décrit l'inconscient dynamique, assignant un rôle fondamental aux fantasmes et aux mécanismes de défense qui protègent contre les pulsions érotiques et agressives, la conversion hystérique et la phobie hystérique.
Le refoulement est le mécanisme de défense central dans le traitement des conflits intra-psychiques de l'hystérique, d'où découlent le retour du refoulé, la symbolisation, la régression, la formation de compromis, la satisfaction du désir inconscient. Cette pierre angulaire qu'est l'hystérie a cependant fait trébucher Freud
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dans le contre-transfert vécu envers ses patientes et la réalité de leurs traumatismes sexuels qu'il a probablement qualifiés erronément, dans certains cas, de fantasmes.
La dérive subséquente dans la compréhension de l'hystérie s'explique aussi par les multiples redéfinitions psychanalytiques qui l'ont utilisée comme fourre-tout conceptuel. Les écoles française, britannique et américaine ont discuté de l'hystérie en la situant à des niveaux différents de développement psychosexuel, ce qui a encore ajouté à la confusion. Le terme a éclaté définitivement lorsque le DSM-III l'a transformé en de multiples syndromes (trouble somatoforme ou syndrome de Briquet, trouble dissociatif, trouble de conversion et trouble de personnalité histrionique), adoptant une position athéorique, nettement anti-psychanalytique par rapport à ces diagnostics (Horowitz, 1977).
Le trouble de personnalité histrionique (TPH) se distingue pourtant de la personnalité hystérique que Freud avait décrite comme porteuse d'une structure névrotique et aux prises avec un conflit oedipien. Ce trouble est beaucoup plus voisin du trouble limite tout en révélant une structure caractérielle plus primitive, impulsive et instable. On rapporte aussi des dimensions comportementales pour lesquelles une compréhension psychanalytique n'est pas attendue. Avec cette approche par critères diagnostiques, la richesse de l'empirisme psychanalytique s'est perdue. Nous nous proposons de retrouver ce que la littérature psychanalytique et psychiatrique a compris de la personnalité histrionique (Sigmund et al., 1998).
Même s'il a peu écrit sur la notion de personnalité, Freud reconnaissait que les pulsions orales d'amour, d'attention et d'intimité érotique relèvent chez l'hystérique d'un tempérament particulier (McWilliams, 1994). Selon Myerson (1969), il s'agit d'un tempérament excitable chez une personne qui recherche des stimuli plaisants et intenses, puis qui devient facilement débordée par ceux-ci. Ainsi, l'enfant hystérique, lorsqu'il est excité, s'attend à être calmé par le plaisir éprouvé ou le soulagement procuré par un parent gratifiant. Cloninger (1978) soutient que le tempérament de l'hystérique se distingue par une variabilité autonomique élevée et une augmentation du seuil de conduction électrique afférant à la peau, favorisant ainsi une diminution du seuil et de la tolérance à la douleur sans habituation aux stimuli. Cette prédisposition physiologique pourrait expliquer l'affectivité excessive retrouvée chez les hystériques/histrioniques.
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On trouve par suite dans de nombreux tests d'évaluation de la personnalité des échelles élevées de névrotisme et d'extraversion chez ces troubles.
L'observation de leurs affects suggère une fluidité dans le passage d'un affect à un autre, allant jusqu'à l'instabilité affective, ainsi qu'une qualité d'incohérence, voire de fausseté rattachée aux émotions. Le style cognitif de l'hystérique décrit par Shapiro (1965) est qualifié de global, diffus, impressionniste et imaginatif. Selon Schultsz-Hencke (1951), le discours est circonstanciel et décousu, les idées sont exprimées dans un langage coloré, le cours vagabond de la pensée et des émotions flottant entre la réalité et les fantasmes. La pensée privilégiant le symbolisme, les associations ou les analogies, fait penser à des mouvements de cavaliers sur un jeu d'échecs. L'expression de Masud Khan (1974) décrit bien ce style cognitif: L'hystérique ne veut pas savoir!, c'est-à-dire qu'elle ne veut pas comprendre les implications et les détails de son expérience.
De ces cognitions et affects particuliers découleront des comportements distinctifs de dramatisation avec des changements soudains de scènes et de rôles, comme si l'hystérique était une actrice qui jouait sa vie, se montrant facilement influençable ou séductrice selon. Elle est compétitive et fait en sorte d'attirer l'attention, mais aussi manipulatrice en cherchant à l'obtenir, puis dépendante de celle-ci, et elle se révélera parfois même mythomane. Le cliché prototypique s'impose ici.
Les agirs sexuels servent à exprimer une demande d'attention visant à réparer la privation affective. À travers ses tentatives de séduction, l'hystérique exprime son ambivalence, son désir de pouvoir et sa vulnérabilité somatique. Elle cherche à séduire pour contrôler l'autre, mais sans pour autant désirer consommer l'acte sexuel. Ainsi, elle ressentira de la culpabilité et voudra fuir devant une séduction réussie. Chez une personnalité hystérique, le développement psychosexuel a atteint habituellement un niveau génital quoique inhibé devant l'intimité, cependant que la sexualité chez l'histrionique s'exprime de façon plus débridée. Apt et Hurlbert (1994) ont décrit jusqu'à quel point la sexualité des femmes histrioniques était pauvre, peu fonctionnelle ou gratifiante.
Autant les fantasmes et les comportements des hystériques/histrioniques stimulent la sexualité du partenaire, autant ils sont vécus dans un contexte contra-phobique par la personne hystérique.
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La séduction est agie de manière démonstrative mais avec une crainte de la sexualité, une honte du corps et un sentiment manifeste d'infériorité. Il vaut donc mieux chercher le sens des comportements de l'hystérique, tels qu'ils sont stimulés par l'anxiété, dans la symbolique de leurs agirs et dans l'expression du conflit oedipien. Selon Khan, la ‘promesse' de la personnalité hystérique porte en elle beaucoup plus un désespoir qu'un désir ou une capacité véritable d'accomplir ce désir. Reisenbergmalcolm (1996) voit dans l'hyperbole typique de l'hystérique une représentation des objets internes et de la relation de la patiente à ses objets. L'exagération sert à distancer la personne de son vécu tout en l'informant de ses émotions refoulées. On reconnaît par suite une dynamique typique d'une relation d'objet partiel autant projetée qu'internalisée, qui s'apparente à la structure limite décrite par Kernberg (1975). Mais que reste-t-il de cette compréhension psychanalytique dans le champ psychiatrique?
Nous avons mentionné qu'en 1980, le DSM-III introduisait une classification des diagnostics par axes et situait les troubles de personnalité à l'axe II. Ce changement visait à attirer l'attention des cliniciens sur les traits de personnalité de ces patients et favoriser la recherche empirique sur ces facteurs. On peut questionner la validité conceptuelle et la fidélité de certains troubles. En révisant la littérature, nous nous sommes posés les questions suivantes: S'intéresse-t-on encore à ce concept dérivé de la psychanalyse? Ce diagnostic est-il imprégné de biais sexistes datant d'une autre époque? Existe-t-il vraiment des personnes souffrant de ce trouble? Plusieurs investigateurs (Looper, 2000; Paris, 2000) ont déploré le manque sérieux de recherches au sujet de ce trouble. Blashfield (2000), cherchant à établir l'influence du DSM-III et de l'ajout de l'axe II, a évalué la croissance de la littérature sur les troubles de personnalité entre 1966 et 1995. Il a constaté une nette augmentation des publications concernant les troubles de personnalité limite et antisociale mais une décroissance au sujet de l'histrionique, qu'il qualifie de mouvante. Dans un article de synthèse sur les dénominateurs cliniques communs au sous-ensemble B (limite, narcissique, histrionique et antisociale), Holwick (1998) omet entièrement de citer le trouble de personnalité
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histrionique. Le TPH semble glisser sans bruit dans l'oubli, alors que les manifestations extériorisées spectaculaires et coûteuses socialement des troubles de personnalité limite et antisociale retiennent toute l'attention (Nuckoll, 1992; Paris, 1992).
Dans son étude synthèse, Widiger (1998) révise l'ensemble des critiques qui, au cours des années, ont souligné des biais sexistes dans la construction des diagnostics des troubles de personnalité. Ces critiques incitaient néanmoins à la prudence puisque ceci risquait d'amener l'effondrement du DSM-III, encore fragile à l'époque. Les femmes semblaient représentées de façon prépondérante dans trois catégories diagnostiques: le trouble de personnalité limite, le trouble histrionique et le trouble dépendant (Sprock, 1980; Rienzi, 1995). De violentes critiques mirent alors en doute leur configuration et le choix des critères. Ainsi Kaplan (1983) questionne: «Comment décident-ils de ce qui est normal»? Ils sont les membres des comités de l'American Psychiatric Association, majoritairement masculins, qui se fondent sur une tradition clinique empreinte de préjugés.
Comme il n'existe aucune étude empirique permettant de délimiter la personnalité normale du trouble de personnalité, Kaplan avance que le trouble de personnalité histrionique pathologise la féminité. Elle propose donc de distinguer trouble indépendant et trouble restreint, caricatures des caractéristiques typiquement associées à la masculinité. À sa suite, Pantony et Caplan (1991) proposent le trouble de personnalité dominant délirant. Les membres des comités (DSM-III-R, DSM-IV) sont ébranlés: ils ajustent les critères, les seuils et les instruments de mesure à la lumière de quelques études (Sprock 2001; Klonsky 2002). Widiger conclut de son côté qu'il n'y a pas d'évidence d'une configuration sexiste.
L'application sexiste par les cliniciens du diagnostic de trouble histrionique est, quant à elle, mieux démontrée (Widiger, 1998). Une patiente jeune et jolie reçoit un diagnostic de trouble de personnalité histrionique, plutôt que limite ou dépendant, lorsque le clinicien est un homme. L'analyse de ces études démontre que les cliniciens ont une approche prototypique, basée sur des stéréotypes implicites, et qu'ils accordent peu de crédibilité aux critères DSMiens, qui sont encore peu intégrés dans leur pratique. Ce biais pourrait être réduit par l'utilisation d'entrevues structurées, lesquelles sont employées surtout en recherche (Cloutier et Renaud, 2003).
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Enfin, la prévalence du trouble de personnalité histrionique pourrait aussi être biaisée par le fait que plus de femmes consultent. Cependant, dans le peu d'études effectuées dans la population générale depuis 1989 et qui tiennent compte des changements apportés par le DSM-III-R et le DSM-IV, la prévalence du TPH passe de 2,1% à 0,2% (de Giralomo et Reich, 1993, 2002). Il n'y a plus de trouble de personnalité plutôt féminin ou plutôt masculin, sauf pour le trouble de personnalité antisociale (Grilo, 2001, 2002). Le trouble de personnalité histrionique serait-il une catégorie en voie de disparition?
Lorsque nous examinons la clientèle suivie dans un programme spécialisé pour les troubles graves de la personnalité (le Programme des troubles relationnels de l'Hôpital du Sacré-Coeur), nous ne relevons aucun cas de TPH pur. Nous constatons la présence de traits histrioniques chez une clientèle limite dont l'adaptation globale est nettement inférieure à celle des TPH, d'après la littérature (Sprock, 2001). Par ailleurs, cette clientèle illustre la problématique de la co-morbidité, soit la présence de deux ou trois diagnostics à l'axe II, auxquels s'ajoutent quelques critères attribués à d'autres troubles, critères surtout indicateurs de la sévérité du mauvais fonctionnement. À l'examen, il ne s'agit pas de co-morbidités mais plutôt de recoupements et de délimitations imprécises dans le diagnostic différentiel de l'axe II.
Chez la personnalité hystérique, l'émotivité est contenue et circonscrite alors que celle de l'histrionique est explosive et envahissante. Toutes deux ont une tendance à l'exhibitionnisme qui sera chez l'hystérique surtout sexualisé, exprimant un désir d'être aimé, alors qu'il sera vorace, exigeant, oral, froid et moins engageant chez l'histrionique, dont le tableau dynamique est comparable à la personnalité limite avec qui il partage une impulsivité généralisée. On retrouve par contre chez l'hystérique un bon contrôle pulsionnel et un surmoi plus rigide avec parfois des défenses obsessionnelles. La séduction est un outil utilisé par les deux, mais celle de l'hystérique est subtile et attrayante alors que celle de l'histrionique est vulgaire et souvent inappropriée. L'hystérique est capable d'ambition, de compétitivité, de maturité et de relations d'objet triangulées; ainsi, la séparation d'avec les objets aimés sera tolérée
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et n'entraînera pas le même genre de crise que chez l'histrionique. De son côté, l'histrionique manque d'envergure. Elle se sent impuissante dans ses relations dyadiques qui sont marquées par la fusion, le masochisme et la méfiance. Son anxiété de séparation est démesurée lors de la séparation impliquant des objets aimés, et le surmoi est relâché avec des défenses primitives de clivage et d'idéalisation (Easser et Lesser, 1965; Kernberg, 1975; Lazare, 1971; Sugarman, 1979; Zetzel, 1968; Oshima, 2001). En psychothérapie, l'hystérique aura un désir transférentiel sexualisé qui se développera graduellement mais sera perçu comme irréalisable, tandis que l'histrionique désirera rapidement et intensément concrétiser ce transfert érotisé (Gabbard, 1994; Cale et Lilienfield, 2002).
Peut-on faire un parallèle entre ces troubles ou doit-on les dissocier clairement? Quelques modèles théoriques nous proposent une avenue intéressante pour mieux conceptualiser ces différents troubles de personnalité. Il ne s'agit pas d'être exhaustifs puisque notre propos vise davantage la compréhension que la recension de ces modèles qui illustrent les divers troubles de personnalité dans une perspective de développement et selon un continuum de sévérité et un rationnel dans leur traitement. Ce sont les modèles psychodynamique de Kernberg (1996), psychobiologique de Cloninger (2000) et celui, plus psychanalytique, de Zetzel (1968).
Kernberg apporte un éclairage intéressant sur les troubles de personnalité limite et histrionique. Il conçoit les troubles de personnalité selon une organisation structurale, laquelle est fondée sur l'intégration des expériences précoces et des contenus mentaux dominants qui reflètent la dynamique des relations d'objet internalisées. Kernberg postule l'existence de trois types de structure, soit névrotique, limite et psychotique de la personnalité, qui dans chaque cas assurent la stabilisation de l'appareil psychique. Chaque type d'organisation correspond à un fonctionnement caractéristique des patients, notamment en ce qui concerne le degré d'intégration de l'identité, les types de mécanismes de défense habituellement utilisés et la réponse à l'épreuve de réalité. Il illustre en un tableau les différents troubles par types d'organisation et par degrés de sévérité en abscisse, et sur un continuum allant de l'introversion à l'extraversion en ordonnée. Kernberg rassemble dans l'organisation limite structurale, selon les typologies du DSM, les
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troubles de personnalité histrionique, narcissique, antisociale, limite, schizotypique, schizoïde et paranoïde.
L'organisation structurale limite se situe entre les structures névrotique et psychotique. Elle est caractérisée par une diffusion de l'identité, un maintien de l'épreuve de réalité et l'utilisation de mécanismes de défense primitifs tels le clivage, l'identification projective, l'idéalisation primitive et le déni. Les troubles de personnalité limite et histrionique sont deux organisations limites qui partagent des modes de pensée semblables empreints de clivage, d'identification projective et d'autres mécanismes primitifs. En regard de l'indice de sévérité, le trouble de personnalité limite est toutefois plus sévère que le trouble histrionique.
Les organisations névrotiques, moins sévères, sont représentées par les troubles du groupe C, soit les troubles de personnalité obsessionnelle, dépendante et évitante. La personnalité hystérique, considérée comme une personnalité plus mature, n'est pas décrite par cet auteur mais peut être assimilable à cette organisation. Elle est caractérisée par une intégration de l'identité dans un moi cohérent, à la différence des images clivées de soi des organisations limites. Elle se reconnaît également par une bonne épreuve de réalité et l'utilisation de mécanismes de défense de haut niveau, dont le refoulement, la formation réactionnelle, l'intellectualisation et la rationalisation. Elle correspond davantage à une organisation névrotique de la personnalité.
À l'instar d'auteurs contemporains tels Gabbard et Kernberg, Cloninger (1987) a conceptualisé les troubles de personnalité comme résultant d'un équilibre dynamique entre le tempérament, plus biologique, et le caractère, plus psychologique. Il définit trois dimensions rapportables au tempérament, soit la recherche de nouveauté, l'évitement de la douleur, et la dépendance à la récompense, et quatre dimensions tenant au caractère, soit la conscience de soi, la coopération, la labilité affective et la transcendance de soi.
Selon des études qui ont examiné les points de rapprochement entre le modèle dimensionnel psychobiologique de Cloninger et la taxonomie catégorielle du DSM, les troubles limites affichent des scores élevés aux dimensions de recherche de nouveauté (RN) et d'évitement de la douleur (ED) mais un score bas à la dépendance à la récompense (DR) (Svrakic et al., 1993; Goldman et al., 1994;
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Battaglia et al., 1996; Bayon et al., 1996; Griego et al., 1999; Mulder et al., 1999). Les histrioniques ont des scores élevés à la recherche de nouveauté (dimension partagée) tandis que leurs scores à l'évitement de la douleur sont élevés, dimension non partagée avec le trouble de personnalité limite qui montre un score bas à cette dimension dans notre clinique. À la dimension de dépendance à la récompense, le score des histrioniques est élevé, alors que celui des limites est bas, affichant là encore une autre dimension non partagée. Ainsi la ressemblance entre TPH et trouble limite est probablement reliée à cette recherche de nouveauté (RN), notamment la sous-dimension de l'impulsivité, alors que les différences se situeraient dans la réactivité affective (ED) et le degré de dépendance (DR). Ces dimensions vont de pair avec les manifestations cliniques de ces deux personnalités décrites plus haut.
Corrélation entre le modèle catégoriel du DSM-IV et le modèle dimensionnel de Cloninger
Zetzel (1968) nous offre en contrepartie des repères nosographiques. Elle a étayé un continuum de sévérité chez les hystériques en identifiant quatre types d'hystérie depuis la moins à la plus pathologique. Elle décrit la vraie hystérique (true hysteric), la potentiellement vraie hystérique (potential true hysteric), le caractère hystérique dépressif (depressive character hysteric)
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et finalement la soi-disant pauvre hystérique (so-called bad hysteric). La troisième catégorie serait équivalente au trouble de personnalité histrionique, et la quatrième au trouble de personnalité limite. Le continuum de sévérité reflète la capacité d'adaptation, le type de relation d'objet mais surtout l'analysabilité des sujets atteints. Les derniers types, le caractère hystérique dépressif et la soi-disant pauvre hystérique, se distinguent par un monde relationnel chaotique et une plus grande vulnérabilité aux stresseurs environnementaux. Zetzel montre ainsi que ces troubles sont regroupés selon des degrés variables sous l'égide de facteurs tels que l'hyperémotivité, la dépendance, l'instabilité relationnelle et un contrôle pulsionnel déficient.
Le concept d'hystérie, qui est au fondement de la théorie freudienne, demeure un concept essentiellement psychanalytique. S'il a été passablement escamoté dans le DSM par une approche trop exclusivement comportementale/phénoménologique, il apparaît également comme une idée éclatée et imprécise dans la littérature psychanalytique contemporaine, ce qui explique en partie sa dérive. À l'instar de Zetzel, on doit comprendre que le trouble de personnalité hystérique n'est pas vraiment un trouble de personnalité mais plutôt une structure caractérielle névrotique relativement fonctionnelle, surtout si le sujet dispose de défenses obsessionnelles. Le trouble de personnalité histrionique, selon le DSM-IV, est rapproché du trouble limite à un point tel que le concept de TPH a fait l'objet de sévères critiques. La pauvreté du matériel empirique devant soutenir sa définition, les biais sexistes et culturels évidents, de là la difficulté à diagnostiquer vu le flou des critères et l'absence de mesures objectives pour justifier cette entité expliquent en partie la rareté avec laquelle il est rapporté dans les études épidémiologiques et dans la littérature actuelle. Les cliniciens sont portés à le diagnostiquer comme un trouble de personnalité limite quand les difficultés comportementales indiquent un trouble du fonctionnement de la personnalité avec hyperémotivité, instabilité relationnelle et un pauvre contrôle pulsionnel.
Hystérique, histrionique ou limite?! Oui, un monde de confusion diagnostique mais aussi d'attributions transférentielles...
Nous avons cherché à faire la part des choses à propos du TPH en le distinguant des traits de personnalité hystérique et en documentant
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les subtilités qui l'apparentent au TPL. Ces différenciations devraient permettre de préciser le degré de pathologie selon un continuum psycho-développemental pour chaque patient. Par contre, le TPH se situe selon notre analyse au niveau d'une organisation caractérielle limite voisine du TPL. Dans les faits, le diagnostic de TPH exige rigueur et savoir-faire clinique comme n'importe quel autre diagnostic mais peut-être encore plus de vigilance, d'autant plus qu'il a été victime plus que tout autre d'une tradition clinique empreinte de préjugés. Le but ultime de cet effort diagnostique n'est-il pas de définir une démarche de traitement, et ainsi contrer les pièges de nature contre-transférentielle entourant cette clinique?
La psychiatrie demeure en son essence un lieu de rencontre avec l'autre. Cet autre, l'histrionique, a peut-être trop marqué, voire dirigé le jugement des cliniciens. Nous invitions, dans cette discussion, à s'ouvrir à la complexité et à la nuance issues des connaissances actuelles mais également des savoirs de nos prédécesseurs. N'en est-il pas de toute façon toujours ainsi de l'évolution d'une relation?
AbstractSexual and cultural biases and transferential attributions in the diagnosis of histrionic and hysterical personality disorder are a well known fact. In their reevaluation of the core characteristics of hysterical personality as opposed to histrionic and borderline personality, the authors review psychoanalytical and psychiatric conceptualizations with a special focus on successive transformations of these classifications in the DSM. When reporting on the growth of literature on the subject of hysterical and histrionic personality, they reconsider the differences and similitudes of these disorders in the light of developmental and temperamental manifestations. They finally outline three major models, Kernberg's psychoanalytical structural theory of personality disorders, Cloninger's psychobiological model for the clinical description of personality variants and Zetzel's classification which should contribute to a better understanding of these disorders. |
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<Note *> Dr Evens Villeneuve est psychiatre au Centre hospitalier Robert-Giffard et professeur agrégé au Département de psychiatrie de l'Université Laval. Dr Suzane Renaud est psychiatre au Centre de santé mentale communautaire du CHUM et professeure adjointe de clinique à l'Université de Montréal. Dr Christiane Bertelli est chef de l'Unité des troubles relationnels à l'Hôpital du Sacré-Coeur.
Adresse: CH Robert-Giffard
2601, Ch. Canardière
Beauport (Québec) G1S 4V5
Courriel: evens_villeneuve@ssss.gouv.qc.ca