Revue sélective de jurisprudence en matière de biens

François Frenette, expert reconnu et auteur de nombreux textes en droit des biens. Me Frenette est docteur en droit, notaire à Québec et professeur associé à la Faculté de droit de l'Université Laval. rochemontel@globetrotter.net

Recherchiste: François Brochu

Parmi toutes les décisions rendues en matière de biens au cours du 2e semestre de l'année 2001, nous avons retenu celles qui, à notre humble avis, constituent une mise en garde sur la façon, dans le quotidien de la pratique, de dispenser avis et conseils. Le but poursuivi n'est pas d'abord de refaire le débat au fond dans chaque cas, mais plutôt de souligner les changements d'habitudes de pratique que suggère ou commande la voix des tribunaux.

Propriété superficiaire

La propriété superficiaire étant un droit réel immobilier, les auteurs sont, depuis l'adoption du nouveau code, unanimes à en prescrire la publicité, en vertu de l'article 2938(1) C.c.Q. Sans plus d'explication <note 1>, la question de fond sur l'opposabilité du droit paraît ainsi réglée en doctrine. Il en est autrement en jurisprudence toutefois, comme le rappelle l'arrêt Procureur général du Québec c. Les développements de demain Inc. et al. <note 2>. Le praticien est donc appelé à agir avec discernement, notamment en matière d'opinion sur titres.

Dans cette affaire, la Cour supérieure avait d'abord à se prononcer sur une requête en déclaration de propriété superficiaire afférente à des parties de la rue Commerciale à Saint-Jean-Chrysostome qui débordaient sur les lots ayant jadis appartenus à la Compagnie des chemins de fer nationaux «CN». La requête à cet effet, présentée par le procureur général du Québec agissant ès qualité pour le ministre des Transports du Québec «Ministre», fut accueillie au motif qu'il y avait eu renonciation tacite au bénéfice de l'accession par le CN en faveur du Ministre lors de la réalisation du projet conjoint d'élargissement de ladite rue Commerciale et de construction d'un viaduc enjambant cette dernière. C'est à l'analyse de la preuve que le tribunal en vient à déceler l'existence de cette renonciation au bénéfice de l'accession qui est, comme le précise l'article 1110 C.c.Q., génératrice de propriété superficiaire. La décision a été rendue à bon escient sur ce point, mais n'ajoute rien de nouveau à l'état du droit sur la question. Il n'y a donc pas lieu de s'y attarder, contrairement au point suivant.

La Cour supérieure avait également à décider si la propriété superficiaire, reconnue en l'espèce, était opposable aux tiers malgré l'absence d'inscription au registre foncier. Aucune publication n'avait eu lieu en effet parce que la renonciation au bénéfice de l'accession était tacite, i.e. découlait des faits et gestes du CN et du Ministre lors de la réalisation du projet d'élargissement de ladite rue Commerciale et de construction du viaduc.

En pareil cas, il n'y a, au dire du tribunal, aucune obligation de se soumettre aux règles de la publicité des droits <note 3>. Évitant toutefois de prendre le moindre risque, le tribunal déclare ladite propriété reconnue opposable à Les développements de demain inc. (propriétaire actuel des anciens lots du CN) et ordonne l'inscription du jugement au registre foncier pour valoir titre.

Commençons par circonscrire la portée de l'arrêt pour en tirer le meilleur enseignement possible. L'arrêt a uniquement trait, en matière de publicité des droits, au cas de la propriété superficiaire résultant d'une renonciation tacite au bénéfice de l'accession et, pour être plus précis, lorsque cette renonciation tacite survient non pas dans le corps du texte d'une entente sur l'usage du tréfonds (art. 1111 C.c.Q.), mais plutôt dans le cadre des gestes que pose le tréfoncier en l'absence d'une telle entente ou, à la rigueur, postérieurement à la conclusion de pareille entente. Tel est le domaine d'application restreint du jugement. Ainsi, faut-il comprendre et retenir que la propriété superficiaire résultant soit «de la division de l'objet du droit de propriété portant sur un immeuble» (art. 1110 C.c.Q.), soit «de la cession du droit d'accession» (art. 1110 C.c.Q.) demeure sujette à publicité pour être opposable aux tiers. Il en est de même de la propriété superficiaire résultant soit d'une renonciation expresse au bénéfice de l'accession, soit d'une renonciation tacite au bénéfice de l'accession déduite du texte d'une entente sur l'usage du tréfonds.

Puisque l'article 1110 C.c.Q. ne distingue absolument pas la renonciation tacite et la renonciation expresse au bénéfice de l'accession, voyons maintenant comment la propriété superficiaire résultant d'une certaine forme de renonciation tacite peut bien échapper à l'emprise de l'article 2938(1) C.c.Q. En vérité, le tribunal ne prend pas du tout en considération la règle générale annoncée à l'article 2938(1) C.c.Q. quant à «l'acquisition, la constitution, la reconnaissance, la modification, la transmission et l'extinction d'un droit réel immobilier». Il s'en tient, en citant un arrêt de 1976 <note 4>, aux dispositions de l'ancien Code sur l'enregistrement des droits réels (art. 2082 C.c.B.C.) et des titres d'acquisition et de transfert de propriété (art. 2098 C.c.B.C.). Qui plus est, le tribunal ne prend pas acte de la reconnaissance de la propriété superficiaire comme modalité de la propriété aux articles 1009 et 1011 C.c.Q., ni de la qualification du renversement de la présomption de l'article 955 C.c.Q., comme «cession du droit d'accession» ou «renonciation au bénéfice de l'accession» suivant l'article 1110 C.c.Q. Il s'en tient à une opinion de 1978 <note 5> qualifiant l'«exception à la présomption du droit d'accession» de «droit de

[début de la p. 7 du texte original]

superficie», lequel droit de superficie serait, quand il est «constitué par suite d'une autorisation tacite», semblable au cas de la prescription acquisitive ne requérant pas de publicité <note 6>. Bref, et comme l'indique le fameux arrêt de 1976, la renonciation tacite au bénéfice de l'accession est ramenée au rang d'un fait auquel la loi attache des conséquences juridiques; ce qui explique non seulement l'absence de nécessité de publier en l'espèce, mais aussi l'à-propos d'une déclaration en reconnaissance judiciaire de la propriété superficiaire comme en matière de prescription acquisitive.

En tout respect, nous n'estimons pas que le jugement a été rendu à bon droit pour la simple et bonne raison, d'une part, que le Code civil du Québec ne contient aucune exception à la publicité du droit de propriété, fut-il superficiaire et, d'autre part, que la renonciation au bénéfice de l'accession, fut-elle tacite, ne constitue pas un fait au sens juridique du terme. Dans un dossier de la sorte, l'examinateur de titres doit donc d'abord et plutôt chercher à faire signer un acte récognitif de renonciation au bénéfice de l'accession par le tréfoncier l'ayant consenti, acte récognitif emportant «reconnaissance» de la propriété superficiaire du bénéficiaire de la renonciation. Si l'auteur de la renonciation au bénéfice de l'accession n'est plus propriétaire du tréfonds, le praticien doit alors tenter d'obtenir du nouveau propriétaire une cession de droits emportant division de l'objet du droit de propriété au sens de l'article 1110 C.c.Q. <note 7>. Advenant un refus de la part de ce dernier, il y aurait peut-être alors lieu, et alors seulement, de recommander l'obtention d'un jugement en prenant bien en compte cependant tous les aléas associés à une telle démarche en présence d'une jurisprudence aux assises chancelantes sur la question de l'opposabilité du titre en l'espèce.

Mitoyenneté (abandon)

Les arrêts qui font apport de nouveauté doivent tout naturellement être signalés dans le cadre d'une chronique de jurisprudence. Il en est de même, pensons-nous, des décisions qui ont le mérite soit de confirmer un énoncé de principe récent, soit de réitérer la pertinence d'une règle un tant soit peu oubliée depuis sa formulation.

Dans l'affaire Riendeau et al. c. Lambert <note 8>, le copropriétaire d'un mur mitoyen poursuivi pour le paiement de la moitié de son coût de réfection a, par voie de déclaration lors de l'enquête, fait abandon de mitoyenneté. Le tribunal eut donc à décider si cet abandon était vraiment libératoire, i.e. valable pour le passé comme pour l'avenir. Il y a peu de temps encore, le droit positif était à l'effet que l'abandon de mitoyenneté libérait pour l'avenir seulement. Un revirement de situation se produisit toutefois en 1999 lorsque la Cour d'appel du Québec en vint enfin à considérer l'obligation de contribuer à l'entretien, à la réparation et à la reconstruction d'un mur mitoyen comme une obligation propter rem plutôt que comme une obligation purement personnelle à la charge des copropriétaires. L'un d'eux fut donc autorisé à faire abandon de mitoyenneté même si un jugement le condamnant à participer aux frais de reconstruction avait déjà été rendu contre lui <note 9>. Invoquant cet arrêt de la Cour d'appel au soutien de sa décision, le juge Séguin a confirmé l'effet libératoire de l'abandon de mitoyenneté pour le passé, aussi bien que pour l'avenir.

Il est fort possible, vu l'état du droit sur la question maintenant, que les cas d'abandon de mitoyenneté par avis [1006(2) C.c.Q.] devant notaire prennent graduellement le pas sur les cas de contestation en réclamation de la moitié des frais d'entretien, de réparation ou de construction.

Dans l'affaire Rochon c. Hoa <note 10>, le copropriétaire d'un mur mitoyen endommagé par des travaux de démolition ordonnés par le propriétaire voisin a poursuivi ce dernier pour le plein montant des coûts de réfection. Le tribunal, prenant appui sur une décision de la Cour supérieure en 1967, a décidé à bon droit que l'article 1006 C.c.Q. couvrait uniquement la responsabilité inhérente aux frais normaux pour entretien, réparation et reconstruction d'un mur mitoyen, et non pas celle pour frais occasionnés par la faute de l'un des copropriétaires du mur. Dans ce dernier cas, ce sont plutôt les règles générales de la responsabilité civile prévues à l'article 1457 C.c.Q. qui s'appliquent.

Considérant l'arrêt Rochon à la lumière du jugement rendu dans l'affaire Riendeau, il n'est pas inutile de mentionner que le copropriétaire responsable du dommage causé au mur mitoyen ne peut se prévaloir de la faculté d'abandon pour échapper à son obligation de réparer ou de reconstruire, car celle-ci lui est purement personnelle.

Propriété riveraine et étendue de l'objet du droit

La vigilance est toujours de mise en matière d'examens des titres, mais elle doit être doublement accrue lorsque l'immeuble visé est susceptible de faire partie ou d'avoir fait partie du domaine public. C'est une vérité qu'illustre on ne peut mieux l'arrêt Génier et al. c. Larivière et al. <note 11>.

En 1999, les propriétaires d'un terrain en bordure du fleuve Saint-Laurent ont appris du ministère de l'Environnement du Québec que 63% de l'immeuble qu'ils avaient acquis au comptant en 1990 faisait partie du domaine hydrique de l'État. Cette éviction a entraîné une réclamation en dommages-intérêts contre la venderesse. Cette dernière a choisi d'intenter une action sur mise en cause contre la procureure générale du Québec, laquelle a répondu par une requête en irrecevabilité. La décision du tribunal porte seulement sur ces deux derniers recours: la requête en irrecevabilité étant accueillie, d'une part, et l'action sur mise en cause étant rejetée, d'autre part.

Les détails du jugement ne sont pas sans intérêt. Son plus grand mérite pour l'examinateur de titres est toutefois de réitérer les principes de base applicables à l'interprétation des concessions de parties du domaine public, principes de base énoncés par le juge Letarte dans l'affaire Marchand c. Marina de la Chaudière inc. <note 12> savoir:

Il s'agit là, nous semble-t-il, d'un précieux aide-mémoire.

<Note 1> Avec plus d'explication néanmoins: François Frenette, «La propriété superposée: aspects nouveaux», dans Développements récents en droit immobilier, Barreau du Québec, Cowansville, Éditions Yvon Blais Inc., 2000, 143, pp.153-156.

<Note 2> [2001] R.D.I. 436 (C.S.).

<Note 3> [2001] R.D.I. 436, par. 20.

<Note 4> Boily c. Tremblay, [1976] C.S. 1774.

<Note 5> [2001] R.D.I. 436, par. 19, référant à J. Goulet, (1978) 19 C. de D. 111.

<Note 6> [2001] R.D.I. 436, par. 17 et 20.

<Note 7> En ce qui concerne le nouveau propriétaire du fonds, l'accession a déjà joué. Il ne peut donc que céder les droits qu'il a acquis par accession.

<Note 8> [2001] R.D.I. 545 (C.Q.).

<Note 9> Meneghini c. Zambito-0razio, [1999] R.D.I. 173 (C.A.).

<Note 10> [2001] R.D.I. 539 (C.Q.).

<Note 11> [2001] R.D.I. 553 (C.Q.).

<Note 12> [1998] R.J.Q. 1971 (C.A.), p. 1976-1977.