L’approche émotivo-rationnelle

Par Brigitte Bédard

NDLR. L’approche émotivo-rationnelle est une approche parmi d’autres pouvant être utilisée par les conseillers et conseillères d’orientation. Nous la publions à la demande du magazine Interface qui considérait l’article sur l’intelligence émotionnelle et l’approche émotivo-rationnelle comme un tout, lors de la publication dans leur édition de janvier 1999.

Du grand stoïcien grec Épictète, les tenants de l’approche émotivo-rationnelle n’auront retenu qu’une idée: «Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses mais le jugement qu’ils portent sur ces choses». En 1955, cette phrase, vieille de 2000 ans, a été le fer de lance du psychanalyste américain Albert Ellis dans l’élaboration d’une nouvelle forme de psychothérapie cognitivo-comportementale. Cette approche a été introduite au Québec par le psychologue Lucien Auger. Il ne faut pas se tromper: l’approche émotivo-rationnelle (ÉR) n’est pas du positivisme. Il ne s’agit pas de changer bêtement une affirmation négative en une affirmation positive. C’est beaucoup plus complexe, mais à la fois très simple. Il suffit d’acquérir deux choses: des connaissances et de l’expérience. Le tout en cinq étapes. On a souvent reproché aux approches cognitives de «rationaliser» les émotions en les niant complètement. L’approche ÉR ne fait pas partie de cette catégorie. Certes, elle utilise l’intelligence cognitive rationnelle, mais dans le but de ramener un équilibre dans les émotions.

L’approche ÉR fonctionne d’abord avec un objectif, celui de diminuer l’intensité des émotions désagréables telles que l’anxiété, la peur, la colère, la jalousie. Le thérapeute procurera les moyens nécessaires à son client pour atteindre cet objectif. Rien de plus rationnel. Presque mathématique. Or on ne met pas pour autant l’émotion de côté, bien au contraire. En fait, c’est l’émotion ressentie par un individu qui lui permettra de se comprendre lui-même. En reconnaissant son émotion, une personne pourra, éventuellement, changer son comportement. Il s’agit d’une étape essentielle de l’approche ÉR.

S’il y a eu une émotion (par exemple, la culpabilité), c’est, selon Épictète, parce qu’il y a d’abord eu une idée, un jugement porté sur une personne, une chose ou un événement (l’approche

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ÉR parle «d’occasion»). La première étape consiste donc à trouver cette idée, c’est-à-dire à clarifier l’interprétation que l’on se fait de la réalité, de l’événement qui s’est produit. Cette interprétation est consciente ou inconsciente. Si elle est inconsciente, le thérapeute aidera le client à retrouver l’idée.

Après avoir repéré l’idée qui engendre la culpabilité (Je n’aurais pas dû me mettre en colère parce que j’ai blessé mon ami), vient l’étape de l’analyse de l’idée, et non pas de l’émotion. Cette idée serait-elle le reflet d’une erreur d’interprétation de la réalité? L’exercice se fait à l’aide de questions et de critiques (Tu es en train de me dire que tu n’aurais pas dû agir ainsi? que tu n’aurais pas dû te mettre en colère? Qu’est-ce qui le prouve?). Le thérapeute emploie la technique socratique: questionner et ne jamais affirmer. Seul le client a le droit d’affirmer quoi que ce soit afin de l’aider à faire germer la pensée réaliste appuyée sur des faits concrets.

C’est aussi en analysant l’idée que le client se rend vite compte que son interprétation est faussée. Le thérapeute, en effet, ramène l’idée dans un contexte réaliste en demandant des preuves des interprétations qui sont avancées (Tu es en train de me dire que la peine causée à ton ami prouve que tu as mal agi malgré le fait que tu étais incapable d’agir autrement à ce moment-là compte tenu des idées, des émotions et du contexte?). La confrontation des idées fausses ou irréalistes et de l’origine des émotions fait rapidement apparaître l’émotion comme exagérée, hors de proportion. Il arrive même qu’elle se dissolve complètement.

Une fois l’émotion culpabilité considérablement atténuée, le thérapeute reformule le dialogue intérieur du client (J’aurais aimé avoir agi autrement parce que je n’aime pas blesser mon ami). L’émotion qui émerge alors n’est plus de la culpabilité. Elle laissera place à de la tristesse, une émotion dite «appropriée», tout comme le regret ou l’ennui, parce qu’elle permet le changement. Par contre, l’anxiété, la culpabilité, l’hostilité, l’infériorité et le découragement, des émotions qui englobent à elles seules une soixantaine d’autres émotions, sont dites «inappropriées» puisqu’elles paralysent l’individu. Ce n’est que lorsque l’intensité des émotions inappropriées a été diminuée qu’il devient possible d’entreprendre le travail qui mène à un changement de comportement.

Or c’est là la partie la plus difficile de la thérapie, selon Diane Borgia, directrice du Centre de traitement de la codépendance et des dépendances nocives (Cafat): «C’est à ce moment que le client a beaucoup de pain sur la planche». Le thérapeute l’aide à prendre conscience de la manière dont il fonctionne (en thérapie individuelle ou de groupe et par des lectures, des exercices écrits ou d’action): il lui enseigne à reconnaître les idées précises qui causent ses émotions, à se poser les bonnes questions pour les reconnaître et à mettre en pratique des techniques d’autochangement.

Bien sûr, c’est l’aidé, au bout du compte, qui prouvera l’efficacité de l’approche ÉR. Diane Borgia aime bien rappeler que c’est dans la vie de tous les jours qu’il faut mettre les techniques en pratique: «Le gros de la thérapie se fait à la maison, avec nos proches. Quand on a travaillé dix fois sa colère, son anxiété ou sa culpabilité en trois jours, sous les directives de son thérapeute, il est évident qu’on ne ressent pas l’émotion aussi intensément qu’auparavant. Il est impossible d’éliminer définitivement toutes ses émotions désagréables, mais on peut en réduire considérablement la durée, la fréquence et l’intensité. On devient alors autonome dans la gestion de ses émotions. Les résultats, qui peuvent être très rapides, sont à la mesure des efforts fournis».

Mode de fonctionnement psychologique de l’être humain