par Martine Giguère <note *>
Les producteurs qui en font l’essai doivent investir temps et argent pour le cultiver. Ses débouchés? Aucun, pour l’instant.
Depuis mars 1998, Santé Canada permet la culture commerciale du chanvre industriel. Or, ne cultive pas qui veut: pour obtenir l’autorisation de Santé Canada, on doit respecter diverses normes. Il faut tout d’abord présenter une demande de licence. Pour plusieurs, l’aventure s’arrête ici. Cette année, 20 personnes et organisations ont tenté leur chance, et 15 ont obtenu une licence.
La demande doit préciser si la culture du chanvre est destinée à la recherche, à des activités commerciales ou à la distribution. Mais il y a plus. Car en plus de cultiver du chanvre, les détenteurs de licence ont autre chose en commun: ils deviennent par la force des choses des microcentres de recherche et de développement.
Photo prise à la mi-juillet. «Les plants déjà d’une bonne hauteur atteindront près de deux mètres à la récolte», explique Pascal Côté, de ChanvrEstrie.
[début de la p. 34 du texte original]
En tant que telle, la culture du chanvre s’intègre bien à une exploitation agricole. Le semis ne nécessite qu’un semoir à céréales ordinaire, et la fertilisation se compare à celle du maïs-grain.
Les raisons qui incitent les producteurs à se lancer dans la culture du chanvre sont multiples. Il y a la possibilité d’inclure une nouvelle famille de plante dans la rotation. Cette culture très compétitive ne requiert pas d’herbicide. Le chanvre aurait également la capacité de décompacter le sol.
Cependant, de la région de l’Abitibi jusqu’au Saguenay-Lac-Saint-Jean, tous sont unanimes: l’information véhiculée dans la documentation sur le chanvre est trompeuse. Des essais sont donc en cours chez chacun des producteurs autorisés. Tout au long de la saison, on note des détails sur la croissance, selon les variétés utilisées. Il existe des variétés hâtives, semi-hâtives et tardives. Le chanvre répond à la photopériode et atteint sa maturité en fonction de celle-ci. En 1999, Santé Canada a approuvé 23 cultivars de chanvre.
Pour trouver quel cultivar est le mieux adapté et produit la meilleure qualité de fibre, il faut faire des essais. C’est ce que les producteurs autorisés s’efforcent de faire. Ce faisant, ils espèrent obtenir le meilleur rendement en graines ou la meilleure qualité de fibre.
Selon la provenance des semences, la teneur en THC (delta-9-tétrahydrocannabinol) de certaines variétés n’est pas uniforme. Le THC est la substance hallucinogène de la marijuana. «Sur le marché international, la France offre des semences dont la teneur en THC est la plus uniforme», précise le producteur de grandes cultures, Luc Fontaine, de la Ferme Promarc, à Saint-Marc-sur-Richelieu. Détail important, car Santé Canada ne tolère pas plus de 0,3 % de THC; une teneur plus élevée peut entraîner la destruction complète de la plantation.
En culture du chanvre industriel, les principales complications se présentent à la récolte. En production de fibre comme de graines, il faut modifier la machinerie existante. Le chanvre destiné à la fibre doit être fauché et mis en balle. «Cette année, dit Pascal Côté, administrateur de ChanvrEstrie (société qui a pour mission la production, la transformation et la commercialisation du chanvre industriel), on a utilisé une faucheuse-conditionneuse. Sa barre de coupe a été modifiée: on a changé son angle et sa hauteur». D’autres modifications seront nécessaires, car la fibre a tendance à s’enrouler sur les côtés.
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ChanvrEstrie en est à sa deuxième année d’essais. Pascal Côté explique qu’il cherche essentiellement à identifier les cultivars qui offrent un bon rendement, en fibre ou en graines. Cette année, trois variétés ont été semées sur quatre hectares. Pour la graine, la moissonneuse-batteuse doit également être modifiée. Pour pallier ce problème, ChanvrEstrie a sélectionné une variété qui atteint une hauteur maximale de 1,2 à 1,5 m; une moissonneuve-batteuse standard sera utilisée.
Variété de chanvre textile Uniko-B semée le 5 juin à Compton.
La ferme Promarc fait également des essais de variétés. La presse à balles rondes et la moissonneuse-batteuse ont été modifiées. «Comme la fibre du chanvre s’enroule autour des engrenages des machines, on ajoute des tôles pour les protéger», explique le propriétaire de la ferme, Luc Fontaine.
Les producteurs de chanvre sont optimistes. En plus d’investir pour cultiver le chanvre et modifier la machinerie, ils consacrent beaucoup d’énergie à l’expansion de ce marché. À l’heure actuelle, des pourparlers sont en cours auprès de plusieurs compagnies.
Or, un problème majeur subsiste: aucune industrie n’est en mesure d’effectuer la première transformation de la fibre. En fait, une seule entreprise, Fibrex Québec inc., possède la technologie nécessaire (voir l’encadré Fibrex Québec).
Pour convaincre des transformateurs potentiels, ChanvrEstrie a fait venir d’Europe de la fibre ayant subi une première transformation. Deux filatures industrielles, Cavalier Textile et Sheard, ont fait des essais. Le fil obtenu est de qualité et des clients se sont montrés intéressés.
Luc Fontaine est actuellement en pourparlers avec Cascades. La fibre de deuxième qualité pourrait entrer dans la fabrication de papier recyclé. Ce producteur ne tarit pas d’éloges sur les possibilités du chanvre. «L’huile extraite de la graine de chanvre entre dans la composition de produits cosmétiques signés The Body Shop. Elle peut servir à l’alimentation humaine, et certains pays l’utilisent pour fabriquer de la bière». Difficile de résister à un tel engouement! Luc Fontaine est convaincu que cette culture a de l’avenir au Québec. Il aimerait regrouper tous les producteurs intéressés et former une association. Son principal objectif serait d’analyser le marché. Tous les efforts investis en recherche et développement se feraient alors de façon concertée.
M. Fontaine tente également d’intéresser une entreprise de semences à cette aventure. Celle-ci pourrait servir d’importateur et éventuellement signer des ententes avec des semenciers européens pour développer des semences au Québec.
Améliorer la diffusion de l’information et la connaissance du sujet, dénicher des marchés, convaincre des industries ne sont que quelques-uns des nombreux défis à relever. L’intérêt envers la culture du chanvre industriel prend en outre de l’ampleur au Québec. Celle-ci fera-t-elle partie du paysage agricole québécois de demain? Pour l’instant, quelques irréductibles producteurs tentent de nous en convaincre.
Fibrex QuébecFibrex Québec, entreprise spécialisée en culture du lin textile, s’intéresse également à la culture du chanvre. Fibrex Québec possède l’expertise et la technologie nécessaires au traitement de la fibre du lin, et cette même technologie s’applique à la fibre du chanvre. Le transfert technologique se fait très bien et l’on obtient un produit de qualité, souligne Timothy Nierdermann, directeur de l’usine. De plus, la machinerie servant à la récolte du lin s’adapte facilement à celle du chanvre. Il reste à faire des essais en champ pour déterminer, par exemple, le moment de récolte le plus approprié et le type de fertilisation à adopter. Cette année, six hectares feront l’objet d’essais. Si les résultats sont concluants, les superficies cultivées passeront à près de 200 hectares, l’an prochain. Fibrex Québec veut développer la culture du chanvre textile et vise le marché de la fibre de première qualité. L’entreprise conclut les contrats de production, puis le producteur prépare le terrain et effectue le semis. Fibrex prend les autres étapes en charge. |
<Note *> Martine Giguère, agronome, est journaliste.