par Pierre Dubois <note *>
Deux entrepreneurs forestiers attellent des chevaux sur une remorque munie d'une chargeuse hydraulique. Ils débardent chaque jour jusqu'à 30 M cubes de bois.
Richard Vézina et Mario Audet de Valorisation forestière, une entreprise de Shipshaw au Saguenay, se spécialisent dans les coupes partielles. Rien d'extraordinaire jusqu'ici. Sauf qu'ils débardent le bois à l'aide de chevaux. «Les gens pensent que nous voulons revenir à la vieille époque. Nous sommes plutôt un mélange d'ancien et de nouveau», lance Richard Vézina. A la blague, il se considère lui-même comme un intermédiaire entre Greenpeace et le «contracteur» forestier.
A l'époque révolue des camps de bûcherons, les chevaux occupaient une place de choix dans l'exécution de tous les travaux forestiers. Avec la mécanisation, le noble animal a cédé sa place à la débusqueuse. En forêt privée cependant, l'utilisation du cheval n'a jamais complètement disparu. Particulièrement en Estrie et en
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Beauce où le cheval est quelquefois utilisé pour débusquer le bois (action de traîner le bois sur le sol) lors du jardinage forestier, ou pour réaliser des éclaircies.
Mais nos deux entrepreneurs forestiers de Shipshaw font plus que cela. Ils attellent deux chevaux sur une remorque munie d'une petite chargeuse hydraulique pour débarder (action de transporter le bois) chaque jour jusqu'à 30 m cubes de bois. En été, la remorque est montée sur des roues. En hiver, on utilise la bonne vieille «tims», une remorque montée sur des patins de fer.
Le succès de la méthode tient au poids des chevaux. Pour tirer la remorque, la chargeuse hydraulique et 3 M cubes de bois, il faut des chevaux d'au moins 800 kilos (1800 livres). L'entreprise de Shipshaw en possède cinq en tout, trois belges comtois, de gros chevaux blonds, et deux chevaux bruns, un mélange de percheron et de belge ardennais. Ces gros chevaux de trait sont des hongres, des étalons châtrés.
Si Richard Vézina utilise des chevaux en forêt, c'est qu'il croit qu'on fait ainsi un meilleur travail d'aménagement. L'entrepreneur a déjà possédé une débusqueuse. Selon lui, «ce n'est pas fait pour faire de l'aménagement, c'est fait pour sortir du bois. Ça ne fait pas une belle job».
En comparant avec le VTT, le F-4 Dion ou le tracteur de ferme, «le meilleur rendement, c'est le cheval», poursuit l'entrepreneur. Mais pas le cheval tout seul, le cheval avec un système de chargeuse. «Pour travailler avec des chevaux, dit-il, il faut apprendre à ne pas avoir peur de l'animal, à lui faire confiance et, surtout, à en connaître les limites, de façon à ne pas le fatiguer inutilement». En effet, le cheval n'est pas une machine.
«Le travail forestier avec des chevaux est rentable», affirme Richard Vézina. L'entrepreneur n'aspire pas à égaler la productivité des gros équipements mécanisés comme les abatteuses et les multifonctionnelles. Les chevaux ne sont pas faits pour réaliser les grandes coupes à blanc. De toute façon, cela n'intéresse pas Richard Vézina.
Au Québec, croit M. Vézina, le travail en forêt avec des chevaux améliorerait la qualité des travaux sylvicoles, en plus de donner une meilleure image à la foresterie québécoise. En Suède, 1,15 % du territoire forestier est exploité avec des chevaux. Autour de 15.000 chevaux participent à une production d'un million de mètres cubes. De notre côté, les Algonquins de la réserve de Winneway, au Témiscamingue, songent à s'équiper de 60 chevaux pour faire l'aménagement forestier des 25 km carrés de leur territoire.
L'entreprise de Shipshaw offre ses services de coupes partielles et de débardage du bois à l'aide de chevaux partout au Québec. Avis aux intéressés! Le bruit de la machinerie forestière est agressant à côté du silence et de la magie des chevaux forestiers.
<Note *> Pierre Dubois est ingénieur forestier.
<Photo> Selon Mario Audet et Richard Vézina, les chevaux font un meilleur travail d'aménagement qu'une débusqueuse.
<Photo> «Nous sommes un mélange d'ancien et de nouveau», dit l'entrepreneur Richard Vézina.