Nathalie Labonté
Dans le coin gauche, le plus puissant syndicat au monde: la Fraternité internationale des Teamsters. Quelque 1,8 million de travailleurs-ses syndiqués en Amérique du Nord et une récente victoire aux dépens de la compagnie de messagerie UPS aux États-Unis. Leur opposant, dans le coin droit, la plus grande et antisyndicale chaîne de restauration rapide au monde: McDonald's.
Décembre 1996, le téléphone sonne au local 973 des Teamsters à Montréal. Martin Lepage, un employé du McDonald's à Saint-Hubert, demande à parler à un organisateur syndical, résolu à mettre fin aux mauvaises conditions de travail que lui et ses collègues subissent. Après avoir discuté avec leurs employeurs, logé une plainte au siège social québécois de la direction des restaurants McDonald's et s'être rivé le nez à la Commission des normes du travail sans résultat, la syndicalisation devient alors leur seule porte de sortie.
Le conseil des Teamsters reçoit la requête avec scepticisme. Henri Van Meerbeeck, un organisateur syndical, prend le temps de rencontrer les employés-es. Convaincu du sérieux de leur démarche, il entreprend dès lors l'éducation syndicale d'un petit noyau de jeunes et moins jeunes, qui l'aideront à recueillir un maximum de signatures (50% des employés + 1), indispensables à la demande d'accréditation. L'objectif est atteint en deux soirées intenses. Les Teamsters, affiliés à la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, déposent la demande d'accréditation le 18 février 1997 au ministère du Travail. Les sceptiques sont confondus.
Au début de cette campagne, Henri Van Meerbeeck passe pour un illuminé. Dans le milieu syndical, plus personne n'ose s'attaquer à Ronald McDonald's et sa gang. Toutes les requêtes en accréditation précédentes dans cette chaîne de restaurants ont échoué au Canada et même en Amérique du Nord. «Un seul restaurant de l'Iowa a été syndiqué dans les années 70, souligne Henri. Cela a duré quatre ans, avant que la compagnie casse l'union.»
Au Québec, les Travailleurs unis de l'alimentation et du commerce (TUAC) ont perdu des plumes en tentant une percée à Longueuil en 1993. La CSN, quant à elle, s'est cassé les dents à Granby et Shawinigan. Henri Van Meerbeeck n'a pas peur; son puissant syndicat est probablement le plus apte à affronter cette grosse multinationale.
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Les médias s'emparent vite de l'affaire, qui a tous les atouts pour faire couler beaucoup d'encre: un combat qui oppose principalement des jeunes aux emplois précaires, épaulés par un puissant syndicat, à une multinationale richissime, véritable incarnation du néolibéralisme et de la mondialisation. La possibilité de créer un précédent en Amérique du Nord, advenant la victoire du syndicat, suscite l'intérêt.
En plus de se battre pour de meilleures conditions de travail, les jeunes employés-es de Saint-Hubert luttent aussi pour leur droit d'association devant le ministère du Travail. Voilà presque un an que leur demande d'accréditation traîne devant le commissaire général du travail. Généralement, la procédure s'échelonne sur six mois. Même si ces employés-es ont recueilli 82 % des appuis possibles, ils ne sont toujours pas syndiqués. «Toutefois, le moral des troupes est bon», lance Martin Tremblay, un employé très engagé dans la syndicalisation.
Les Teamsters ont syndiqué la plupart des entreprises qui alimentent les restaurants McDonald's, notamment les employés-es de Sealtest et de Coke. Grâce à ce syndicat aussi, le personnage de Mickey Mouse à Walt Disney a maintenant l'air climatisé dans son costume. Réputés pour leur recrutement intensif, les Teamsters ont loué le site de la Floride pendant quatre jours, pour finalement y accréditer la plupart des employés-es.
Aux États-Unis, la Fraternité des Teamsters s'est fait connaître dans le domaine du transport routier. Aujourd'hui, elle compte 600 sections locales à travers l'Amérique du Nord, dont 41 situées au Canada. Elle syndique plusieurs types de métiers: des travailleurs-ses de ligne aérienne, en passant par ceux-celles de l'automobile, des employés-es de buanderie, de cinéma, etc.
Pour contester la requête en accréditation déposée par le syndicat des Teamsters, la direction des restaurants McDonald's a engagé les avocats les plus réputés: l'étude Martineau Walker. Après avoir défendu les Tim Horton, WalMart et Canadian Tire, maîtres Skelly et Turmel soutiennent que cette requête n'est pas valable, puisque les propriétaires du McDo de Saint-Hubert possèdent cinq autres restaurants franchisés et que ces seuls employés-es ne constituent pas la majorité au sein des entreprises JMC. «Si Tom et Mike Capelli, nos employeurs, n'avaient eu qu'une seule franchise, enchaîne Martin Tremblay, nous aurions eu notre accréditation depuis longtemps. McDonald's essaie par tous les moyens de gagner du temps: le temps de nous remplacer tous.»
Cinquième audience devant le commissaire du travail (31 octobre 1997), huit employés-es des entreprises JMC, opposés à la syndicalisation, sont venus écouter le contre-interrogatoire d'un
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témoin des Teamsters, Jerry Vincent. L'avocat qui les représente, maître Guy Sirois, est assis à côté des avocats officiels de McDonald's. Lorsqu'on demande à ces employés, surnommés Mc-contestataires par les syndicats, qui paie les honoraires de leur avocat, ils se font très discrets...
Sur la place publique, le clan McDo est peu loquace. Magnus Isaacson prépare un documentaire sur le conflit McDonald's-Teamsters. Il suit attentivement le déroulement des événements. «C'est une histoire à la fois très dramatique et symbolique de la situation des jeunes qui travaillent dans le secteur des services et des emplois précaires. Jusqu'à maintenant je n'ai pas eu de difficulté à parler aux gens du côté syndical. Par contre, dans le cas de Me Sirois et ses clients, je demande des entrevues depuis trois mois, mais elles ont toujours été remises.»
Depuis le début des audiences, la petite salle est majoritairement remplie de Mc-contestataires. Ghislain Schinck, employé des entreprises JMC, affirme avoir eu une mauvaise expérience avec la CSD. Sur son t-shirt, on peut lire: «Un syndicat? Ben voyons donc...»
L'histoire des employés-es de Saint-Hubert, véhiculée par les médias, met la puce à l'oreille d'autres travailleurs-ses précaires. Plus d'une vingtaine de McDo ont déjà contacté l'organisateur syndical des Teamsters. Une campagne comme celle-là a de quoi donner l'appétit aux syndicalistes, qui y entrevoient une belle percée dans le monde du travail précaire. Le défi est de taille. Henri Van Meerbeeck arrive en sauveur dans un secteur longtemps boudé par les grands syndicats. Il devient vite débordé devant l'ampleur du problème. Toutefois, sa stratégie semble porter fruit.
Un samedi soir d'octobre, Mathieu est l'hôte d'une réunion syndicale dans le salon de ses parents. Il a 20 ans et travaille dans un McDo du sud-ouest de Montréal depuis trois ans. Il n'a jamais terminé ses études secondaires. Il fait entre 15 et 18 heures par semaine, à un taux horaire de 7,05 $. Les trois jeunes présents s'enflamment quand la discussion tourne autour des conditions de travail. Tous ont des anecdotes, des histoires d'horreur, à raconter à l'organisateur syndical.
Henri Van Meerbeeck rencontre les jeunes en petit nombre pour écouter attentivement leurs appréhensions. Il s'informe à chacun comment vont les signatures de carte. Même s'il leur a remis une feuille dressant tous les avantages d'un syndicat, les employés-es «recruteurs» viennent rapidement à court d'arguments en discutant avec leurs compatriotes. Par exemple, certains-es craignent de voir passer leur maigre salaire en cotisation syndicale. «Pour les temps-partiel, c'est environ 5$ par semaine, leur indique Henri. Mais en général, ça revient à une heure de salaire par semaine.»
Quant aux jeunes qui ont peur de perdre leur emploi en côtoyant des syndicalistes, Henri les rassure: «Personne n'a perdu son emploi au McDo de Saint-Hubert.» Au côté de l'agent de recrutement des Teamsters, Kevin Schwanker, un gars dans la vingtaine, est là aussi pour informer
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les jeunes. Il est passé par le même processus, en syndiquant un restaurant Harvey's à Brossard. «Depuis que nous avons signé une convention collective, le patron respecte l'ancienneté des employés pour les horaires et les salaires», explique Kevin.
Ce soir-là, la rencontre avec Henri et Kevin a un effet stimulant chez les trois jeunes. Sébastien est prêt à s'emparer de la liste des employés-es pour obtenir leur numéro de téléphone et les contacter personnellement: «La promotion des «2 pour 1» s'en vient, ajoute-il. La pression va être énorme, je vous dis que les employés vont signer leur carte.»
Syndicaliste chevronné, Henri Van Meerbeeck a analysé toutes les requêtes en accréditation au sein des restaurants McDonald's d'ici et d'ailleurs. Solide de l'appui du président de la FTQ, Clément Godbout, il est prêt à aller jusqu'au bout. Le commissaire du travail, chargé de trancher dans le conflit McDo-Teamsters, devrait rendre sa décision cet hiver. «Si jamais on refuse le droit d'association aux jeunes de Saint-Hubert, un boycott des restaurants McDonald's est tout à fait envisageable», conclut Henri Van Meerbeeck. La partie n'est pas terminée.
<Photo> Devant l'arche dorée de Saint-Hubert. (Photo: Serge Jongué).
<Photo> Le premier à avoir appelé les Teamsters. (Photo: Serge Jongué).
<Photo> Henri Van Meerbeeck. (Photo: Serge Jongué).
<Photo> Grâce aux Teamsters, Mickey Mouse est maintenant climatisé...
<Photo> Les médias s'agglutinent. (Photo: Serge Jongué).