La Bibliothèque de la Ville de Montréal,
la collection Gagnon et son fondateur, Philéas Gagnon

Marie Baboyant <note *>

Il est certainement étonnant qu'une bibliothèque municipale trouve son origine dans une collection particulière et spécialisée. C'est pourtant le cas de la Bibliothèque municipale de Montréal, créée dans des circonstances où on se méfiait d'une collection littéraire, mais où on était disposé à encourager une bibliothèque historique, à tel point que le noyau initial ne sera augmenté que vingt-deux ans après, soit en 1932.

Nous connaissons assez bien le collectionneur qui a rassemblé à Québec la plus grande bibliothèque de canadiana et d'américana au XIXe siècle. Nous avons déjà écrit à ce propos et nous ne voulons pas répéter ici ce travail <note 1>. Nous nous attarderons plutôt sur de nouvelles sources provenant, en particulier, de notes manuscrites d'histoire de sa famille qu'il a lui-même rédigées <note 2>.

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Nous considérerons successivement l'histoire de la famille Gagnon, celle du collectionneur Philéas Gagnon, les péripéties de la collection elle-même et nous présenterons un choix limité des trésors qu'elle contient.

La famille Gagnon

La famille de Philéas Gagnon était percheronne, de la paroisse St-Aubin de Tourouvre, comme les Boucher, les Mercier, les Pelletier, etc. Son ancêtre, Mathurin Gagnon, avec ses deux frères Jean et Pierre, arrivèrent en Nouvelle-France avant 1640 et «influencés, sans doute, par la propagande de Robert Giffard et de Noël Juchereau, qui recrutaient des colons dans le Perche» <note 3>. Ils furent parmi les premiers colons de la Côte de Beaupré dans ce qui est aujourd'hui Château-Richer <note 4>.

Philéas Gagnon lui-même, qui s'est beaucoup intéressé à sa généalogie, écrit:

«Bien des gens sont sous l'impression que les recherches généalogiques ne doivent se faire que pour les personnages en évidence. Pourtant, celui qui atteint une haute position, la notoriété, la célébrité, se passe bien d'ancêtres, et, comme dit quelque part Corneille: «Il donne ses exploits pour noms de ses aïeux». Il en est autrement pour l'humble laboureur ou défricheur, comme l'ont été la presque totalité de nos colons originaires, qui n'avaient aucuns titres qui s'imposent à l'attention publique, outre celui d'être de braves gens qui, sagement, bornèrent leur ambition à l'horizon de leur village et se contentèrent de naître, vivre et mourir sur le champ paternel» <note 5>.

Il ne pensait peut-être pas que cette recherche généalogique expliquerait une partie importante de sa vie et de son travail.

Philéas Gagnon était tailleur, vivant à Québec à une époque où les collectionneurs canadiens-français étaient très rares. Il nous dit lui-même que son père, Charles Gagnon, était menuisier et devint plus tard commerçant <note 6>. Jean-Philéas était l'aîné d'une famille de huit enfants dont deux décédés en bas âge. Né à St-Roch de Québec le 6 mai 1854 <note 7>, marié le 29 janvier 1883, également à St-Roch, à Annie Mary Smith, fille de Joseph Smith, boucher, et d'Honorah O'Donoghue, tous deux venus d'Irlande. Il signale ensuite que la maison «100, rue Fleury, St-Roch, Québec, où nous sommes tous nés... fut construite par notre père lui-même, alors menuisier, pendant l'année 1847».

Il ajoute:

«Je commence à aller à l'école à six ans, chez un nommé Louis Rousseau, puis à l'école des Frères <note 8>, et en dernier lieu chez Charles-Joseph Lafrance <note 9>. J'ai fait ma première communion le 28 avril 1864. Apprenti-tailleur chez J.-B. Bédard, à 14 ans, puis pendant une couple d'années chez D. Morgan, et enfin à mon compte à vingt ans [...] jusqu'au 18 février 1898, quand j'ai été nommé Gardien des Archives judiciaires du District de Québec» <note 10>.

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Le 11 mai 1888, Philéas Gagnon se présente aux élections municipales de son quartier St-Roch, pour le poste occupé jusque-là par François Langelier qui avait été élu maire. Il est élu par acclamation. Il sera confirmé dans cette fonction en mars 1889, en février 1890, en septembre de la même année où il ajoute le titre de maire suppléant, en février 1892, en mars 1894. Il sera finalement battu par Gaspard Rochette en février 1896. Il signale lui-même que, depuis 1894, il était en association avec son premier apprenti, Philéas Turgeon. On comprend mieux ainsi que Philéas Gagnon ait pu consacrer de plus en plus de temps à des tâches sociales et politiques.

C'est sans doute le goût des travaux communautaires, acquis dans l'exercice de son poste d'échevin, qui amène, après un intermède de deux ans, sa nomination comme Gardien des Archives judiciaires du district de Québec, le 14 février 1898. Et onze ans plus tard, le 25 février 1909, il est nommé en plus Député protonotaire de la Cour supérieure pour le district de Québec. Il précise qu'il a été le cinquième à occuper cette charge de Gardien des Archives, créée vers 1854.

L'archiviste et le collectionneur

On peut se demander comment on peut passer du métier de tailleur à celui de conservateur des archives judiciaires de la région de Québec. La réponse est complexe, mais éclairante. Philéas Gagnon fait partie d'une famille où la culture et la curiosité intellectuelle étaient depuis longtemps enracinées. De telle sorte que, après une éducation de bonne qualité pour son époque, dans une famille nombreuse qui ne pouvait se permettre le cours classique traditionnel, après plus de huit ans en politique municipale, il ne manque qu'un élément pour expliquer sa nomination comme archiviste: le fait que Philéas Gagnon était déjà un autodidacte du métier où il devenait un professionnel.

Il nous dit lui-même qu'il a commencé à collectionner des livres anciens sur le Canada vingt ans avant la parution de son catalogue, soit en 1875 <note 11>. Dans cette même préface, Gagnon ajoute qu'il a commencé par plaisir et pour se distraire de ses occupations journalières. Il aurait pu ajouter que l'amour des livres était depuis longtemps répandu dans sa famille. Son cousin Ernest Gagnon (1834-1915) était un écrivain, journaliste, organiste et collectionneur de chansons <note 12>. Il faut observer que les deux Gagnon ont été actifs socialement dans le milieu de Québec pendant une bonne partie de leur vie. Faut-il ajouter que son grand-oncle maternel, René-Édouard Caron, avait été juge et lieutenant-gouverneur de 1873 à 1876.

De plus, une simple observation de la généalogie qui occupe une partie importante de ses notes de famille révèle la présence de nombreux professionnels,

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en particulier des notaires; par exemple, la lignée de son cousin Ernest compte au moins trois générations successives où le chef de famille est un notaire.

Le propre frère de Philéas, le troisième de la famille, Charles-Octave, devint prêtre, archiviste et maître de cérémonie à l'Archevêché de Québec de 1882 à 1897. Mgr Gagnon sera par la suite sous-directeur de l'Action catholique de Québec (1910-1923). Il est particulièrement connu pour sa publication, en six volumes, des Mandements, lettres pastorales et circulaires des Évêques de Québec (1887).

Gagnon ne nous dit presque rien sur la réalisation concrète de sa passion de collectionneur. Nous savons que son Essai de bibliographie canadienne est le catalogue des livres qu'il possédait. Ils sont au nombre de 3747! Par ailleurs, nous avons quelques témoignages qui nous indiquent que son bureau des archives judiciaires pouvait en conserver une partie: par exemple, celui de l'abbé H.-A. Scott qui nous rappelle ses visites à l'occasion de sa recherche sur la paroisse de Sainte-Foy et la consultation d ouvrages du collectionneur <note 13>. Une autre source plus originale est une romancière historienne, madame C. Alice Baker, qui nous raconte qu'elle a rencontré Gagnon dans son atelier de tailleur qu'elle décrit comme rempli de livres, au point d'occuper deux grandes pièces. Gagnon lui-même commente cette rencontre, en ajoutant une note ironique <note 14>.

Une question demeure: la dimension économique de ce hobby de collectionneur d'ouvrages rares. Gagnon n'a probablement jamais reçu de

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salaire élevé et il a eu une famille nombreuse. Comment pouvait-il dépenser une somme assez considérable, pendant environ trente ans, pour augmenter sa collection? Comment trouvait-il le temps, malgré ses engagements professionnels et politiques, pour correspondre avec des bibliophiles étrangers et canadiens?

Nous avons cependant quelques indices éclairants. Ainsi, la Bibliothèque nationale du Canada possède environ 28 catalogues publiés par Gagnon et datés entre 1885 et 1909 <note 15>. Ces catalogues contiennent à la fois des ouvrages que celui-ci recherche et d'autres qu'il met en vente. Certains sont en français, d'autres en anglais. Si on compare les titres et les prix, on constate que Gagnon équilibrait habilement ses ventes et ses achats, de telle sorte que sa passion de collectionneur ne l'a pas ruiné. Par exemple, au début du catalogue numéro 2 (1885) il nous avertit: «Empty your purse into your head and buy books: you will never repent» et il signe: Myself. Au début du catalogue numéro 6 de la même année, il précise que les ouvrages qu'il recherche sont «soit en échange ou payé [sic] en argent, au goût du possesseur». Il suffit de parcourir ses catalogues pour constater l'érudition considérable et l'étendue des intérêts du collectionneur. Au début du catalogue 17 (1891), il offre des éditions originales de Champlain, Leclercq, Mesplet, etc.; la couverture du catalogue numéro 9 (1887) annonce des ouvrages de Charlevoix, Sagard, Lescarbot, Lafitau, Henry, etc.

Certains catalogues, par exemple le numéro 3 spécialisé dans les livres de droit, montrent que Gagnon a, à l'occasion, acheté ou vendu des collections entières. Également, il est facile de constater à partir de ses catalogues que Gagnon a acheté et vendu plus de livres qu'il n'en a collectionnés. L'item 394 de l'Essai de bibliographie canadienne, volume 1, est intitulé: Lemieux, O., Recueil des catalogues de toutes les ventes de livres faites chez Lemieux, encanteur de Québec, à partir de 1880. Gagnon ajoute en note que parmi ces collections se trouvent celles d'Oscar Dunn, Hubert Larue, Premio Real, C.T. Suzor, des juges Duval, McCord et Tessier. Ceci nous montre que Gagnon a aussi été intéressé à la vente et à l'achat de livres de sa ville. Rappelons que le collectionneur ne s'est pas limité aux livres, mais qu'il a aussi été intéressé aux manuscrits, aux ex-libris, aux autographes, aux cartes géographiques, aux gravures, etc.

Gagnon n'a visiblement pas rédigé ni publié sa collection de bibliographie canadienne dans le but de vendre sa collection, comme il nous le dit dans la préface (p. III). C'est d'ailleurs évident lorsqu'on observe qu'il continue de publier des catalogues contenant des desiderata; jusqu'en 1909, son papier de correspondance porte toujours en marge des listes d'ouvrages recherchés. Gagnon n'avait d'ailleurs que cinquante et un ans lorsqu'il publia sa bibliographie canadienne pour «la mettre à la disposition des bibliophiles et de tous ceux qui écrivent ou font des recherches sur l'histoire du Canada».

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Comment se fait-il alors que ce collectionneur passionné, qui a continué d'acheter beaucoup de livres et d'autres imprimés après la publication de son catalogue, offre une option pour la vente de sa collection à un collègue collectionneur? Il n'a alors que soixante-cinq ans. Ressentait-il déjà en 1909 le commencement de la maladie qui l'emportera six ans plus tard? Gagnon a été malade de 1909 à 1915 <note 16>.

L'explication plus précise comporte cependant un élément de plus. C'est ici qu'intervient l'abbé Nazaire Dubois, principal de l'École normale Jacques-Cartier de Montréal, soucieux du développement intellectuel de sa ville et lui-même grand collectionneur. Et son intervention se place à l'intérieur d'une histoire encore plus complexe.

La collection devient montréalaise

Montréal cherche depuis le début du siècle à se donner une bibliothèque générale. Elle en avait déjà possédé une, celle du Parlement canadien, mais elle avait été détruite en 1849. Le recorder de la ville, M. Dupuis, le rappelle dans une lettre adressée à Frédéric Villeneuve le 20 novembre 1909. Mais divers groupes entrent en opposition. Les esprits plus libéraux, comme par exemple les Sulpiciens du Cercle Ville-Marie <note 17> et des membres de l'Institut canadien, veulent mettre tout de suite leurs collections au service du public. Par ailleurs, d'autres citoyens, incluant l'évêque de Montréal, Mgr Bourget, considèrent que les bibliothèques spécialisées, techniques, historiques, ou religieuses, sont plus adaptées. C'est pourquoi on verra d'abord apparaître une bibliothèque technique au Monument national en 1903. On comprend mieux maintenant l'intuition particulièrement ingénieuse de l'abbé Dubois: la collection de son ami Gagnon est une bibliothèque qui ne peut inquiéter les censeurs! Faut-il rappeler ici que ces mêmes censeurs avaient refusé depuis de nombreuses années l'offre de la Fondation Carnegie qui assurait la subvention de départ de bibliothèques publiques <note 18>.

L'abbé Dubois persuada Gagnon, à l'automne de 1909, de lui accorder une option pour la vente de sa collection pour la somme de 31.000 $, soit une valeur moyenne de 3,10 $ par volume. Cette option était valable jusqu'au 2 décembre 1909. Dubois offrit d'abord la collection à plusieurs dont en particulier l'Université Laval à Montréal. Avant même l'expiration de ces offres, il s'adresse au maire Louis Payette de la Ville de Montréal, pour lui proposer l'achat des livres de Gagnon <note 19>. L'Université Laval dut refuser l'offre, faute de fonds. Et le cheminement de l'offre au Conseil de Ville commença. Après un premier refus à la fin de décembre 1909, l'abbé Dubois devra prolonger deux fois l'échéance de son offre, pour qu'enfin elle soit acceptée le 12 janvier 1910.

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Comme la Ville de Montréal ne possède pas d'autres bibliothèques que la collection de livres techniques du Monument national qui occupe des locaux déjà encombrés, on devra livrer les 64 caisses de volumes à l'Hôtel de ville de Sainte-Cunégonde, le 15 janvier 1910, où le bibliothécaire en chef de la bibliothèque civique du Monument national, Frédéric Villeneuve, les inventorie (12.479 pièces); il les fera par la suite enereposer en sécurité dans les chambres fortes du Trust Royal. Elles y demeureront longtemps, jusqu'au 23 mai 1917. C'est qu'il fallait construire une bibliothèque municipale. Les journaux locaux reconnaissent que ce fue le choix du site qui prit le plus de temps. Pendant ce délai, la bibliothèque du Monument national dut déménager, en mai 1911, à l'École technique de Montréal (70, rue Sherbrooke Ouest). On discuta de la possibilité de construire la bibliothèque au Marché Saint-Laurent, au Carré St-Louis, au coin de l'avenue du Parc et de l'avenue des Pins, au coin des rues Bleury et Sherbrooke, dans le triangle formé par les rues Sherbrooke, parc Lafontaine et Cherrier, à la rue DeMontigny, etc. Le site actuel (1210 Sherbrooke Est) est proposé pour la première fois dans un amendement à une motion présentée au Conseil municipal le 24 février 1913.

La ville possédait déjà des terrains sur la rue Sherbrooke Est, entre les rues Montcalm et Beaudry, en face du parc Lafontaine. Malgré des sondages de fondation peu rassurants, la Commission spéciale de la Bibliothèque approuve l'emplacement le 7 février 1914. L'architecte Eugène Payette, qui terminait alors la Bibliothèque St-Sulpice, fut engagé pour dessiner l'édifice. La Foundation Company obtint le contrat de construction des fondations et la John Quinlan and Company, celui de l'édifice proprement dit. La pierre angulaire fut posée le samedi 20 novembre 1915, sous la présidence du lieutenant-gouverneur de la Province de Québec, sir Pierre-Laurent Leblanc. L'édifice fut terminé le 7 mai 1917 <note 20>. L'inauguration eut lieu le 13 mai et La Presse du 14 mai rapporte cet événement en ajoutant que le Maréchal Joffre, en mission aux États-Unis, visitait à ce moment la ville à l'invitation du gouvernement d'Ottawa. L'intervention ne dura que cinq minutes, mais elle permit au Maréchal d'ouvrir avec une clef d'or la nouvelle bibliothèque et d'apposer sa signature «J. Joffre» sur la première page du livre d'or.

Un événement malheureux assombrissait toutefois ces solennités. Frédéric Villeneuve, qui avait reçu la collection Gagnon, avait publié le tome 2 de l'Essai de bibliographie canadienne (Montréal, 1913) et avait assuré la formation du premier personnel de la bibliothèque, était décédé prématurément en 1915. Il avait été remplacé par Hector Garneau en janvier 1916, après un intérim assuré par Eva Circé-Côté, femme de lettres à la fois estimée et controversée à l'époque. Garneau occupera son poste pendant quatorze ans. Même s'il ne demeurera à la direction de la

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bibliothèque que pendant deux ans, de 1930 à 1932, Félix Desrochers mérite d'être rappelé de façon particulière. C'est qu'il a été en pratique le deuxième fondateur de la bibliothèque. Il rénova en effet l'édifice (structure, système électrique, rayonnage, puits de lumière, etc.), fermant celui-ci au public du 1er juillet au 8 septembre 1930; il renouvela également le mobilier et continna le classement de la collection Gagnon. Il nous signale, dans son rapport de 1930, que la bibliothèque compte 31.000 pièces <note 21>. Aegidius Fauteux lui succéda en 1932.

Nous terminerons ici la partie historique de cet article. La collection Gagnon est installée, elle a déjà son personnel et son public. En 1944, le conservateur Léo-Paul Desrosiers publie une série d'articles sur la bibliothèque. Il présente ainsi le rôle de la collection Gagnon dans le patrimoine des bibliothèques de Montréal: «L'achat de la collection Gagnon décide en pratique du caractère de la Bibliothèque de Montréal. Au lieu de demeurer technique et scientifique, elle devient du jour au lendemain historique et littéraire» <note 22>. Plus tard dans son étude, Desrosiers cite le projet défini par un Comité formé de cinq échevins municipaux: «Que cette bibliothèque, tout en étant une bibliothèque d'étude et de référence, servira de bibliothèque centrale pour l'approvisionnement des bibliothèques locales qui pourront être établies plus tard dans les diverses parties de la Ville». Il ajoute une autre suggestion, provenant de Victor Morin, président du comité de construction de la bibliothèque:

«L'édifice de la rue Sherbrooke recevrait les volumes précieux et importants et serait la bibliothèque d'études où se rendraient les studieux; elle serait en même temps le point central de distribution pour les bibliothèques de faubourgs, qui seraient des bibliothèques circulantes [...] Ces bibliothèques de faubourgs devraient être modestes et distribuées sur divers points de la ville; en outre, [il faudrait] des salles de lecture où le public pourrait emprunter des volumes».

Nous sommes beaucoup plus loin, avec les Maisons de la culture, que le projet des premiers concepteurs, mais l'orientation de départ n'a pas été perdue.

Comme on le voit déjà, le noyau de l'actuelle bibliothèque municipale de Montréal a été la collection Gagnon. Elle est essentiellement une collection de livres rares, à laquelle on ajoutera peu à peu ou par acquisitions en blocs d'autres collections précieuses. La présentation d'une bibliothèque de ce genre serait tout à fait incomplète si on ne mentionnait quelques-uns des ouvrages les plus exceptionnels qui s'y trouvent.

Des ouvrages exceptionnels

Signalons d'abord pour les non-professionnels qu'on désigne sous le nom d'incunables canadiens les ouvrages publiés entre 1764 et 1820. La collection

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Gagnon en possède un nombre considérable et, parmi eux, le premier livre imprimé au Québec, le Catéchisme du diocèse de Sens, par Monseigneur Jean-Joseph Languet, Archevêque de Sens (A Québec: Chez Brown & Gilmore, Imprimeurs de la Province, 1765). Et le premier livre publié à Montréal, le Règlement de la Confrérie de l'Adoration Perpétuelle du S. Sacrement, et de la Bonne Mort. Érigée dans l'Église Paroissiale de Ville-Marie, en l'Isle de Montréal, en Canada. Nouvelle Édition revue, corrigée et augmentée (A Montréal, Chez F. Mesplet & C. Berger, Imprimeurs & Libraires, près le Marché, 1776).

Nous présentons maintenant, sans vouloir ajouter de jugements de valeur, un choix de pièces particulièrement rares de la collection Gagnon. Nous les répartissons selon les catégories suivantes: découvreurs et historiens, récits de voyages, ouvrages religieux, Amérindiens; ensuite, des manuscrits, des cartes géographiques, des journaux, des gravures. Nous indiquerons de plus quelques importants ajouts à la collection originale, provenant d'autres collections.

1. Découvreurs et historiens

Parmi les récits de découvreurs et les ouvrages d'historiens anciens, il faut signaler Les Voyages de la Nouvelle France Occidentale, dicte Canada, faits par le Sr de Champlain, Xainctongeois, Capitaine pour le Roy en la Marine du Ponant, & toutes les Descouvertes qu'il a faites en ce païs depuis l'an 1603 iusques en l'an 1629... (A Paris, Chez Pierre Le Mur, 1632); la collection comprend également les éditions de 1613, de 1619, et aussi la réimpression avec variantes de 1620 et 1627 (Collection W. P. Witton). De Pierre Boucher, Histoire véritable et naturelle des Moeurs & Productions du Pays de la Nouvelle France, vulgairement dite le Canada (A Paris, Chez Florentin Lambert, 1664). De Nicolas Denys, Description géographique et historique des costes de l'Amérique Septentrionale. Avec l'Histoire naturelle du Païs (A Paris, Chez Louis Billaine, 1672). Gagnon signale (vol. I - n° 1101) que le second volume a pour titre Histoire naturelle des Peuples, des Animaux, des Arbres & Plantes de l'Amérique Septentrionale, & de ses divers Climats.

Il rappelle également que Denys a été fondateur de colonie en Acadie et que, malgré l'insuccès de l'entreprise, l'ouvrage demeure très important. Du père Chrestien Le Clercq, Nouvelle relation de la Gaspésie, qui contient les Moeurs & la Religion des Sauvages Gaspésiens... (A Paris, Chez Amable Auroy, 1691). Du père Pierre-François-Xavier de Charlevoix, Histoire et Description générale de la Nouvelle France, avec le Journal Historique d'un Voyage fait par ordre du Roi dans l'Amérique Septentrionale (A Paris, Chez Pierre-François Giffart, 1744). Gagnon signale que ce travail est «le plus important et le plus complet que

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nous ayons eu pendant longtemps sur l'histoire et la géographie de notre pays». Il fait également remarquer que «les cartes de notre exemplaire ont été coloriées par une main habile: ce qui en augmente encore la beauté». Du capitaine John Knox, An Historical Journal of the Campaigns in North America, for the years 1757, 1758, 1759 and 1760... (London, Printed for the Author, 1769). Gagnon note (I-1880): «Relation la plus complète de la campagne que fit l'Angleterre pour s'emparer de la Nouvelle-France». Il ajoute que cet ouvrage fut vendu à l'encan en 1860 et rapporta même plus que l'Histoire du Canada... de Sagard, soit la somme de 52,00 $!

2. Récits de voyages

La collection Gagnon, avec ses ajouts, est probablement la plus riche au Canada en récits originaux de voyages d'explorations et de découvertes. Par exemple: Giovanni Battista Ramusio, Terzo volume delle navigationi et viaggi nel quale si contengono le navigationi al Mondo Nuovo, alli Antichi incognito, fatte da Don Christoforo Colombo... (Venetia, Gionti, 1556). Cet ouvrage contient, entre autres, le récit des deux premiers voyages de Jacques Cartier, ceux de 1534 et 1535-1536, ainsi qu'une carte de la Nouvelle-France et même un Plan d'Hochelaga «qui sont tout à fait imaginaires mais qu'il est toutefois curieux d'examiner», nous dit Gagnon (I-2912). Un ouvrage peu connu, mais d'une grande rareté, est celui de Jean de Laet, L'Histoire du Nouveau Monde ou description des Indes Occidentales... (A Leyde, Chez Bonaventure et Abraham Elseviers, 1640).

Ce livre est rempli d'excellentes recherches, nous dit Gagnon, citant Charlevoix (I-1906). Melchisedech Thevenot, Recueil de voyages de Mr Thevenot (A Paris, Chez Estienne Michallet, 1681). Cet ouvrage contient une relation importante du voyage de Marquette et Joliet à la découverte du Mississipi (II-2148). Dom Barthelemy de Las Casas, Relation des voyages et des découvertes que les Espagnols ont faits dans les Indes Occidentales... (A Amsterdam, Chez J. Louis de Lorme, 1698), d'après l'édition de Paris de 1697: La Découverte des Indes occidentales par les Espagnols, traduit de l'original espagnol de 1552 par l'abbé J.-B. Morvan de Bellegarde. Alexander MacKenzie, Voyages from Montreal, on the River of St. Lawrence, through the Continent of North America, to the Frozen and Pacific Oceans; in the years 1789 and 1793... (London, 1801).

3. Ouvrages religieux

La collection comprend un grand nombre d'ouvrages religieux très anciens, publiés au Canada ou en Europe pour servir en Nouvelle-France. Signalons le Rituel du Diocèse de Québec, publié par l'ordre de Monseigneur de

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St-Vallier, évêque de Québec (A Paris, Chez Simon Langlois, 1703). Gagnon fait remarquer (I-3138) que la première édition de cet ouvrage fut presque entièrement détruite dans le naufrage du navire qui la transportait à Québec. Le Rituel utilisé par les paroisses avant celui de Mgr de St-Vallier est aussi dans la collection: Rituel Romain pour bien et devement administrer les Sacrements de l'Église, & faire les autres sacrées fonctions ecclésiastiques (A Lyon, 1652). L'exemplaire est annoté de la main de Michel Barthelemy, prêtre de Saint-Sulpice arrivé au Québec en 1666. Un autre ouvrage du deuxième évêque de Québec inclus dans la collection est l'Estat présent de l'Église et de la Colonie française, dans la Nouvelle-France, par M. l'Évêque de Québec (A Paris, Chez Robert Pepie, 1688). Indiquons également le Recueil de cantiques à l'usage des Missions, des Retraites et des Catéchismes (A Québec, Chez John Neilson, 1795). Gagnon signale (II-1766) que l'auteur, le curé Boucher-Belleville, composa plusieurs cantiques dont «Nous vous invoquons tous» sur l'air du «God Save the King». Parmi les ouvrages à l'usage des paroisses, signalons les Épîtres et Évangiles des dimanches et fêtes de toute l'année..., Nouvelle édition (Québec, De la Nouvelle Imprimerie, 1802).

Gagnon ne possédait aucun incunable au sens européen du terme, mais quelques-uns en sont très près, par exemple Psalterium, Hebreum, Grecum, Arabicum, et Chaldeum, Cum tribus latinis interpretationibus et glossis (Impressit miro ingenio Petrus Paulus Porrus, Genuae in aedibus Nicolai Justiniani Pauli..., 1516). L'éditeur, Auguste Justiniani, a inséré une biographie de Christophe Colomb dans une note au psaume XIX, «Coeli enarrant». Il s'agit de la première édition polyglotte imprimée d'un livre de la Bible.

4. Amérindiens

L'importance de la section sur les Amérindiens dans la collection Gagnon (I-3155-3203; II-1910-1922) montre l'intérêt que les premiers Blancs, particulièrement les missionnaires, manifestaient à l'égard des peuples qu'ils rencontraient. Parmi ces ouvrages, remarquons, du père Joseph-François de Lafitau, jésuite, Moeurs des Sauvages Amériquains, comparées aux moeurs des premiers temps (Paris, Saugrain l'aîné, et Charles-Étienne Hochereau, 1724); du père Claude Chauchetière, La vie de la B. Catherine Tegakoüita dite à présent la Saincte Sauvagesse (Manate, De la Presse Cramoisy de Jean-Marie Shea, 1887). Parmi les documents relatifs aux relations internationales avec les Indiens, la collection possède notamment l'édition originale des Traitez de Paix conclus entre S.M. le Roy de France et les Indiens du Canada. Paix avec les Iroquois de la Nation Tsonnontsan... (A Paris, Par Sébastien Marbre-Cramoisy, 1667). Il s'agit des traités conclus au cours de l'année 1666. Un

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autre ouvrage important est celui de Cadwallader Colden, The History of the Five Indian Nations of Canada... (London, 1755). Plusieurs ouvrages en langues amérindiennes font aussi partie de la collection. Citons, par exemple, Nehiro-iriniui aiamihe massinahigan... (Québec, Brown & Gilmore, 1767) qui est l'édition en langue montagnaise de l'Abrégé de la doctrine chrétienne composé par le père Jean-Baptiste Labrosse, jésuite.

5. Atlas et documents cartographiques

Remarquons, parmi ces documents, de Gerard Mercator, L'Atlas de nouveau revu, toutes les cartes corrigez, & en outre augmenté d'un appendix, par Josse Hondius... (Amsterdam, 1630); ou encore, de Joseph F.W. Des Barres, The Atlantic Neptune published for the use of the Royal Navy of Great Britain, etc. (London, 1780).

6. Divers

La collection contient bon nombre d'ouvrages qui ont trouvé une nouvelle popularité en raison de l'intérêt moderne pour l'écologie. Gagnon avait retracé

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la plupart des éditions originales en langue suédoise ou en traduction des publications de Peer Kalm, le savant botaniste qui visita le Canada en 1749. Est également intéressant l'ouvrage de Iacques Cornu, Canadensium plantarum historia... (Paris, Chez Simon Lemoyne, 1635). Dans d'autres domaines, de très anciens manuels scolaires, comme le Grand alphabet divisé par syllabes pour instruire avec grande facilité les enfants à épeler, lire et chanter à l'église contenant ce qui se chante à la Ste-Messe, à Vêpres et à Complies (A Québec, Imprimé à la Nouvelle Imprimerie, 1800), ou encore, la Géographie à l'usage des écoliers du Petit Séminaire de Québec (A Québec, Chez J. Neilson, 1804) sont à signaler. Parmi les vieux dictionnaires, le Dictionnaire universel de la France ancienne et moderne, et de la Nouvelle-France... (Paris, Saugrain, 1726).

Philéas Gagnon collectionnait tous les instruments de culture. En plus des livres, il a recueilli des manuscrits, des estampes, telles que des cartes géographiques, des plans, des gravures, des portraits, des autographes, des ex-libris. En particulier, la collection contient, selon les deux tomes du catalogue, au-delà de 900 manuscrits et plus de 400 estampes.

Parmi les manuscrits, qui sont en général des textes plutôt brefs, retenons des pièces autographes de Champlain, de Louis Jolliet, de Dollard des Ormeaux, de la Vérendrye, de Maisonneuve, de Soeur Marie Morin, de Montcalm, de Salaberry, de Louis-Joseph Papineau. Un précieux vocabulaire huron-français du père Pierre Potier, jésuite, de 1781, fait partie de la collection. Signalons particulièrement une lettre importante du père Jean de Brébeuf datée de Rouen, le 31 mai 1631, adressée au père Julien Perrault de la Compagnie de Jésus à Caen.

Parmi les gravures, remarquons: l'Église Notre-Dame de Montréal (lithographie de John Murray, Montréal, vers 1850); une Vue du Port de Montréal, du dessinateur R. A. Sproule (éditée par A. Bourne, 1830); une carte coloriée de Guillaume De L'Isle, Carte du Canada ou de la Nouvelle France... (Amsterdam, vers 1710). Ou encore celles qui présentent les costumes et physionomies de quelques nations sauvages du Canada: trois couples Algonquins, Hurons, Abénaquis, qui sont des aquarelles du XVIIIe siècle. Sans oublier les Exilés canadiens... (1838)! Terminons cette section en observant que Gagnon collectionnait aussi des revues et des journaux. Parmi ces derniers, on retrouve quelques-uns des plus anciens imprimés au Canada. Entre autres, The Quebec Magazine. Le Magasin de Québec (1792-1794), Quebec Herald and Universal Miscelllany (1788-1790), Le Canadien de Québec (1806-1883); ce dernier est le premier journal canadien publié exclusivement en français. Il faudrait ajouter des exemples de sa collection

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d'ex-libris: l'historien J.-B.-A. Ferland, J.-J. Girouard, patriote et notaire à St-Eustache, l'Hon. L.-H. LaFontaine, Charles-Louis Roch de St-Ours, Alexandre Simpson, banquier à Montréal vers 1850.

Les ajouts

La salle Gagnon actuelle comprend un grand nombre d'ajouts au noyau initial de la collection. Les conservateurs successifs de la bibliothèque ont en effet acquis, par dons ou par achats, d'importantes collections - en particulier celle d'Aegidius Fauteux en 1941, celle d'Édouard-Zotique Massicotte léguée en 1942. A ces collections, on peut ajouter l'Album Viger acheté en 1943, la collection W.P. Witton achetée en 1948, les papiers et la correspondance du célèbre journaliste Olivar Asselin, offerts à la bibliothèque en 1962. Il faut donner une place toute spéciale à la collection Fauteux mentionnée précédemment. Léo-Paul Desrosiers, qui succéda à Fauteux à la direction de la Bibliothèque municipale, en fait une description enthousiaste <note 23>. Elle comprend en effet 2000 canadiana, plus de 1000 brochures, environ 125 «scrap-books» ainsi que d'innombrables copies dactylographiées de documents d'archives, des notes manuscrites, des albums de photographies, etc. L'année suivante, soit en 1942, E.-Z. Massicotte fit don à la bibliothèque de sa collection personnelle de plus de 4000 chansons canadiennes recucillies au cours de soixante années de patient labeur.

En 1943, la Ville de Montréal fit l'acquisition de l'Album Viger qui comprend des textes et gravures offerts à Jacques Viger, premier maire de Montréal: aquarelles, tableaux, manuscrits. Un deuxième album, acquis par la suite, comprend une importante série d'aquarelles de James Duncan illustrant les Costumes des communautés religieuses de femmes en Canada (1853); la deuxième partie de cet album est constituée de notes explicatives manuscrites rédigées par Viger lui-même. La collection de W. P. Witton, un bibliophile de Hamilton, est peu considérable (environ 200 volumes), mais elle est d'une richesse exceptionnelle. Elle comprend, en particulier, un exemplaire d'un livre très rare: Les Véritables Motifs de Messieurs et Dames de la Société Nostre-Dame de Montréal..., attribué à Jean-Jacques Olier, fondateur des Sulpiciens, et publié en France en 1643. On y trouve en plus 46 volumes des Relations des Jésuites dans l'édition originale et, d'André Thevet, Les singularitez de la France Antarctique, autrement nommée l'Amérique... (A Paris, Chez les héritiers de Maurice de la Porte, 1558). La collection du journaliste A.-Léo Leymarie, acquise également par la Ville pour sa bibliothèque, comprend surtout des photocopies de documents. Deux acquisitions faites auprès de J. T. Harwood de Montréal méritent d'être signalées: il s'agit d'un contrat (29 mars 1659) de donation de 22.000 livres

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de la part de Madame de Bullion à Jeanne Mance, dont 20.000 livres seront confiées à M. de la Dauversière pour en faire une fondation qui soutiendra, à Ville-Marie, celle-ci et les premières Religieuses hospitalières de Saint-Joseph. Un deuxième est un acte de cession d'une résidence de M. de Maisonneuve aux Sulpiciens en retour d'une pension. Ces documents ont été acquis en 1941.

Nous n'avons pas l'intention de rappeler les achats réguliers qui ont continuellement enrichi la salle Gagnon depuis son ouverture, mais elle continue d'être une des meilleures collections de recherches sur l'histoire, la géographie, la littérature, etc. du Canada et de l'Amérique.

Conclusion

Montréal a considérablement enrichi ses ressources, historiques et autres, grâce à l'intelligence et au dévouement de ce grand bibliophile qu'a été Philéas Gagnon. A une époque où ces qualités étaient rares, il a manifesté une ouverture d'esprit et une curiosité intellectuelle qui ont dépassé de beaucoup celles de son entourage. Il a utilisé dans toute la mesure du possible ses talents d'historien et de journaliste, les ressources intellectuelles de sa famille et les possibilités de recherches que lui fournissait son travail d'archiviste.

A ces qualités intellectuelles, il a su joindre un dévouement inlassable qui lui a permis d'associer ses devoirs familiaux, son métier de commerçant-tailleur, ses engagements politiques, ses modestes ressources financières. Songeons au fait que Gagnon, à une époque où il ne songeait pas à vendre ses livres, a publié, à frais d'auteur, un catalogue de 5018 pièces qui est encore utilisé de nos jours. Seules la maladie et les insistances de son ami l'abbé Nazaire Dubois purent le décider à se séparer de ses trésors.

La durée de la transaction ayant mené à l'acquisition de la collection Gagnon peut sembler disproportionnée, surtout si on songe que la précieuse collection Witton a été acquise en quelques semaines. Mais on comprend mieux que toute la question de l'équipement intellectuel du Montréal de l'époque de la Première Guerre mondiale était en jeu. La collection Gagnon a constitué un virage essentiel dans l'histoire du développement culturel de la ville.

Notes

<Note *> Bibliothécaire. Auteur de l'Histoire de Montréal par François Dollier de Casson. Nouvelle édition critique par Marcel Trudel et Marie Baboyant, Montréal, Hurtubise HMH, 1992.

<Note 1> Marie Baboyant, «Philéas Gagnon et la «Collection Gagnon» de la Bibliothèque de la Ville de Montréal», dans Livre, Bibliothèque et Culture québécoise, mélanges offerts à Edmond Desrochers, s.j., sous la direction de Georges-A. Chartrand, Montréal, ASTED, 1977, p. 311 à 336.

<Note 2> Philéas Gagnon, Quelques notes sur ma famille. Il existe trois rédactions successives de ces cahiers de notes de famille: mars 1897, 1er septembre 1900 et une rédaction sans ratures non datée. Ces manuscrits sont conservés aux Archives nationales du Québec à Québec, sous la cote: P 89/3. Cette monographie est publiée en partie sous le titre «Une vieille famille canadienne», Bulletin des recherches historiques, vol.XVII, n° 9-10-11, sept., oct. et nov. 1911, p. 268-286; 298-311; 324-331.

<Note 3> Art. «Gagnon, Mathurin», par Jean Hamelin, dans le Dictionnaire biographique du Canada, tome I, Québec, Les Presses de l'Université Laval, 1966, p. 328.

<Note 4> J.-B.-A. Ferland, Notes sur les registres de Notre-Dame de Québec, 2é éd., Québec, G.-E. Desbarats, 1863, p. 40 et 58; voir aussi la liste des colons du Perche au Canada (1615 à 1641), dans, du même auteur, Cours d'histoire du Canada, 1ère partie, 1534-1663, 2e éd., Québec, N. S. Hardy, 1882, p. 511.

<Note 5> Philéas Gagnon, «Une vieille famille canadienne», Bulletin des recherches historiques, vol. XVII, n° 9, septembre 1911, p. 268.

<Note 6> Gagnon, Quelques notes sur ma famille, MS, p. 56.

<Note 7> Gagnon a demandé le 28 janvier 1898 à la Cour Supérieure de corriger son acte de baptême pour y lire 7 mai 1854, au lieu du 27 mai. Sa demande fut accordée. Il était né la veille de son baptême, soit le 6 mai. Je désire corriger mon article déjà cité, note 1, sur ce point.

<Note 8> Cette école était probablement la première école des Frères des écoles chrétiennes du quartier St-Roch, fondée en 1851 et située à l'angle des rues Grant et Desfossés (Nive Voisine, Les Frères des écoles chrétiennes au Canada, tome 1, La conquête de l'Amérique, 1837-1880, Québec, Éd. Anne Sigier, 1987, p. 84-85). Elle s'appellera plus tard École du Sacré-Coeur, puis Lagueux. Elle n'existe plus aujourd'hui. Les Frères des écoles chrétiennes sont souvent appelés à l'époque Frères de la doctrine chrétienne.

<Note 9> Ce monsieur Charles-Joseph Lévesque dit Lafrance avait fondé l'Académie commerciale St-Jean-Baptiste qui eut bientôt une solide réputation. L'école ouvrit ses portes en 1859 et fut dirigée par lui jusqu'en 1876 (Bulletin des recherches historiques, vol. 33, n° 9, septembre 1927, p. 557).

<Note 10> Philéas Gagnon, Quelques notes sur ma famille, p. 56.

<Note 11> Philéas Gagnon, Essai de bibliographie canadienne. Inventaire d'une bibliothèque comprenant imprimés, manuscrits, estampes, etc. relatifs à l'histoire du Canada et des pays adjacents avec des notes bibliographiques, Québec, Imprimé pour l'auteur, 1895.

<Note 12> Ernest Gagnon, Pages choisies, Québec, J.-B. Garneau, 1917.

<Note 13> H.-A. Scott, Notre-Dame de Sainte-Foy. Histoire civile et religieuse, tome 1, 1541-1670, Québec, J.-A. K.-Laflamme, 1902, p. V-VII.

<Note 14> C. Alice Baker, True Stories of New England Captives, Cambridge, 1887, p. 261.

<Note 15> Ils sont classés dans la réserve de la Bibliothèque nationale du Canada, sous la cote Z1401/G34.

<Note 16> «Un bibliophile distingué», The Canadian Antiquarian and Numismatic Journal, third series, vol. VII, n° 1-4, 1915.

<Note 17> Marcel Lajeunesse, Les Sulpiciens et la Vie culturelle à Montréal au XIXe siècle, Montréal, Fides, 1982, p. [199] à 208.

<Note 18> Léo-Paul Desrosiers, ««La Municipale» de Montréal», Le Devoir, 17 juin 1944, p. 8.

<Note 19> Lettre de l'abbé Nazaire Dubois à Louis Payette, maire de Montréal, 18 novembre 1909, dans Desrosiers, op. cit., p. 8.

<Note 20> Léo-Paul Desrosiers, op. cit., Le Devoir, 23 juin 1944, p. 3.

<Note 21> Félix Desrochers, Rapport du conservateur de la Bibliothèque de la Cité de Montréal, MS dactylographié, AMM.

<Note 22> Desrosiers, op. cit., p. 9.

<Note 23> Desrosiers, «La Ville vient d'acheter les collections Fauteux», Le Canada, 7 octobre 1941, p. 14.

<Photo> Philéas Gagnon (1854-1915). Dessin: Louis-Philippe Beaudin.

<Photo> Frontispice d'une édition néerlandaise des Voyages de Peer Kalm, Utrecht, 1722. Les médaillons représentent les villes de Montréal, Québec, New York et Philadelphie. Source: Collection Gagnon.